Les données économiques luxembourgeoises ramenées au PIB … à interpréter avec prudence

Le but du présent article n’est pas de discuter la pertinence du PIB pour mesurer la qualité de vie, ni de revenir sur les limites de l’indicateur du PIB en tant que tel. En effet, le PIB reste un indicateur incontournable de la performance économique, moteur fondamental du bien-être. Mais mesurer le bien-être nécessite d’aller au-delà du PIB et des autres données économiques traditionnelles, ce qui fait l’objet de réflexions approfondies au sein de diverses institutions et différents groupes de travail dans le contexte de la notion de PIBien-être.

Si nous écartons un moment les faiblesses méthodologiques d’un indicateur tel que le PIB (notamment le problème de la valorisation de la production non-marchande, des loisirs, de l’absence d’indication quant à sa répartition sectorielle, etc.), une deuxième limite intrinsèque se pose dans le contexte luxembourgeois : celle du « gonflement » de notre PIB suite au rayonnement transfrontalier du Luxembourg, à l’importante contribution de la place financière, et donc à l’apport de capitaux et de ressources humaines en provenance de l’étranger.

En effet, la consommation des ménages résidents ne pèse que pour un tiers dans le PIB, contre 56% en moyenne dans la zone euro en 2011. Du côté du marché de l’emploi, 44% des postes sont occupés par des frontaliers. De plus, la plupart des capitaux investis dans l’économie luxembourgeoise sont d’origine étrangère. Tous ces éléments font en sorte que notre balance des revenus (qui recense les transactions effectuées entre résidents et non-résidents concernant la rémunération des facteurs de production, tels que le travail, le capital, etc.) est structurellement déficitaire.

Au niveau de la comptabilité nationale, il existe un agrégat qui permet de considérer la contribution des résidents dans la richesse nationale. Il s’agit du revenu national brut (RNB), c’est-à-dire le « PIB produit par les ressources résidentes luxembourgeoises au profit des résidents luxembourgeois ». Ce dernier ne s’élève qu’à 72% du PIB. Son taux de croissance interannuel est moins dynamique que celui du PIB : 5,2%, contre 6,7% pour le PIB entre 2000 et 2011. Souvent, les facteurs de production transfrontaliers concourent aux ressources de l’Etat, par le biais de cotisations sociales et d’impôts, sans pour autant en retirer une quote-part équivalente. Plusieurs fonctions de l’administration publique (telles que l’éduction, le logement, les maisons de soins, etc.) reviennent aux résidents, soit intégralement soit en partie, alors qu’elles sont cofinancées à concurrence d’un tiers par les non-résidents. D’un autre côté, de nombreuses prestations sont exportées (allocations familiales, prise en charge temporaire du complément de chômage, prestations pension, prestations maladie, etc.), alors que les frontaliers contribuent soit à travers les impôts, soit à travers les cotisations sociales.

Dans le contexte luxembourgeois se pose la question de l’opportunité, voire de la nécessité, de considérer plus systématiquement le RNB. Les agrégats économiques luxembourgeois ramenés au PIB présentent en effet un biais, qui risque de fausser les messages et les conclusions qui ressortent des analyses y relatives se doivent d’être nuancées.

  • L’exemple le plus parlant est donc l’indicateur « PIB par habitant » qui surévalue fortement la richesse au Luxembourg car il ne prend pas en compte, au niveau du dénominateur, les travailleurs frontaliers qui contribuent au PIB, mais ne font pas partie de la population résidente. Il serait donc plus opportun d’utiliser l’indicateur « RNB par habitant », qui au niveau du numérateur se limite aux facteurs de production nationaux.
  • La dette publique du Luxembourg s’avère sous-estimée lorsqu’elle est rapportée au PIB : 18,3% tandis qu’elle atteint 25,4% du RNB. Quant au déficit de l’administration centrale en 2011, il équivaut à -2,3% du PIB et à -3,2% du RNB.
  • Le financement de l’inactivité, à savoir les dépenses du fonds pour l’emploi, environ 283 millions EUR en 2011, est équivalent à 0,7% du PIB, mais 0,9% du RNB.
  • Si les indicateurs « Dépenses intérieures de R&D en pourcentage du PIB » (1,43% du PIB en 2011) sont des outils faciles et utiles pour les comparaisons internationales, le Manuel de Frascati, ouvrage de référence en matière de mesure de la RDI,  estime que « ces grands indicateurs sont raisonnablement précis, mais peuvent comporter une dérive systématique s’il existe d’importantes différences entre les structures économiques des pays considérés […] », ce qui s’avère être le cas lorsque le Luxembourg est comparé aux autres pays.
  • D’aucuns invoquent que la masse salariale de l’Etat ramenée au PIB est relativement faible en comparaison internationale. En effet, en 2011, les rémunérations des salariés représentaient 10,6% du PIB dans la Zone euro (17 pays), 12,6% en Belgique et 13,2% en France. Avec ses 8% du PIB, le Luxembourg se rapprochait de l’Allemagne (7,7%). Or, nous savons pertinemment que l’appareil étatique rend ses prestations principalement aux résidents. Rapportée au RNB, la masse salariale équivaut à 11%. Quant à la consommation publique, elle représente 16,4% du PIB, mais 22,8% du RNB. Le recours au PIB biaise les réalités luxembourgeoises.
  • L’aide publique au développement est le seul domaine où le RNB est utilisé comme valeur de référence (environ 1% du RNB en 2013 au Luxembourg). Curieusement, cette façon de procéder nous a été « imposée » de l’extérieur, les objectifs du millénaire pour le développement  prévoyant un objectif en matière d’aide publique au développement de 1% de la richesse nationale des pays avancés. Dans la plupart des pays, la différence entre PIB et RNB est marginale, ce qui n’est pas le cas du Grand-Duché.

Une réflexion de qualité et des actions judicieuses doivent se baser sur le thermomètre  le mieux adapté à la situation luxembourgeoise, qui est spécifique à bien des égards. 2013 devrait être l’année des décisions courageuses et, dans ce contexte, il est important de réfléchir aux instruments de mesure reflétant au mieux la réalité pour éviter que des biais d’interprétation ou des erreurs d’appréciation liés à la méthodologie ou aux indicateurs statistiques appliqués ne conduisent à des décisions politiques inappropriées.

En espérant que l’année 2013 sera vraiment celle des décisions appropriées pour les citoyens du Luxembourg et les futures générations, je souhaite de bonnes fêtes de fin d’année à tous les lecteurs !

One thought on “Les données économiques luxembourgeoises ramenées au PIB … à interpréter avec prudence

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