Réforme fiscale – Social : oui ! Attractivité : non !

Le « secret » a finalement été levé plus tôt qu’attendu: le 29 février – journée un peu « fuyante » qui ne revient que tous les quatre ans – a été choisi pour révéler les intentions du Gouvernement en matière de réforme fiscale. Il semble que la simplification fiscale attendra : un large spectre de mesures un peu disparates a été dévoilé concernant la fiscalité des ménages et des entreprises.

L’analyse des nouvelles mesures, d’un point de vue économique, social et budgétaire, reste à faire. En effet, nombre d’entre elles n’ont pas encore été pleinement spécifiées. Seule une analyse approfondie de chaque mesure permettra d’apprécier en connaissance de cause l’impact économique et budgétaire de cette véritable mosaïque fiscale.

La fiscalité, c’est le financement de choix collectifs, mais aussi des incitations et de la redistribution. Ainsi, il n’est pas facile de se positionner avant de maîtriser tous les paramètres et interactions, à court et à long terme.

La Chambre de Commerce est soucieuse d’analyser les effets globaux de la réforme fiscale alors qu’elle représente quasiment tous les acteurs de la vie économique luxembourgeoise, allant notamment du bistrot du coin au « Global player » de l’industrie ou des technologies de l’information et de la communication, du commerçant local à la grande banque, de la micro-entreprise à l’exportateur de composants automobiles en passant par les start-ups, les restaurateurs et hôteliers, les assureurs, les Soparfis, les consultants et autres prestataires de services. Les intérêts de tous nos membres m’importent énormément. Toutes les mesures comptent à mes yeux, même les plus anecdotiques à première vue, puisqu’elles peuvent in fine avoir des retombées insoupçonnées sur le business quotidien des entreprises luxembourgeoises et le business model du pays. C’est pourquoi la position finale de la Chambre de Commerce sera diffusée par le truchement de notre futur avis circonstancié relatif au projet de loi, qui intégrera les apports de nos membres.

En attendant, des réactions à chaud – certes empreintes de prudence – sont tout de même de mise. Il y a, je crois, deux lectures possibles de la réforme fiscale: une lecture « intérieure/locale » et une lecture « extérieure/internationale ».

La lecture « intérieure/locale » me semble à première vue assez claire : le volet social de la réforme fiscale est bien marqué, ce qu’il faut saluer. Le pouvoir d’achat, pour la plupart des contribuables, va augmenter. Le « Mëttelstandsbockel » sera atténué et les ménages à faibles revenus seront davantage soutenus que les ménages dont la situation financière est plus confortable. L’impôt d’équilibrage budgétaire va enfin afficher sa nature « temporaire », puisqu’il sera supprimé. La prévoyance-vieillesse sera soutenue, ce qui est au passage fort louable compte tenu de l’évolution financière prévisible de nos systèmes de pension – il aurait d’ailleurs été judicieux, au passage, de compléter cette mesure par un soutien équivalent en faveur du 2ème pilier (les pensions complémentaires professionnelles ; la Commission européenne a récemment mis en évidence le sous-développement manifeste de ce segment au Luxembourg).

Je note aussi le soutien à l’accès au logement, même s’il faudra s’assurer que l’offre puisse suivre pour ne pas retrouver les allégements fiscaux dans les prix de vente. Par ailleurs, un nouvel abattement va être introduit pour les véhicules « zéro émission » et la fiscalité des véhicules de sociétés sera conditionnée à l’émission de CO2, ce qui soutiendra le segment des voitures « propres ».

De bonnes nouvelles pour le pouvoir d’achat, avec à la clef des retombées favorables sur la consommation des ménages, sur leurs investissements immobiliers, sur nos commerces, cafés, restaurants, micro-entreprises, PMEs, … Les plus de 6000 entreprises tombant sous le régime des personnes physiques peuvent bénéficier directement des allègements fiscaux mis en œuvre à travers les adaptations des barèmes. On peut également espérer que la hausse des salaires nets permettra de mieux contenir que par le passé la tendance à la hausse des salaires à charge des entreprises, dont la compétitivité s’est fortement dégradée au cours de la dernière décennie.

Petit bémol, lié à la structure même de notre économie de petit espace largement ouverte sur l’extérieur : compte tenu de la forte composante internationale de celle-ci, une grande partie du pouvoir d’achat supplémentaire sera exportée et la consommation accrue de biens d’équipements par les résidents conduira inévitablement à une importation accrue de ces mêmes biens.

Voilà ce qui nous amène à la composante extérieure de l’analyse de la réforme fiscale.

La lecture « extérieure/internationale » est, hélas, bien plus mitigée que la perspective domestique. Le volet « attractivité à l’international » est négligé avec cette réforme fiscale. « Epaules larges mises (encore davantage) à contribution » avec un taux marginal maximal accru (introduction de deux taux additionnels, de 41% et 42%): cela peut être interprété comme une sorte de « Reichensteuer » apte à augmenter éventuellement le rendement fiscal. Rappelons tout de même que moins de 900 foyers fiscaux contribuent déjà aujourd’hui à concurrence de 12% à l’IRPP ; cela peut aussi franchement désinciter les nouveaux arrivants, les fameux « talents », les « meilleures têtes » tant convoitées, voire à décourager les « épaules larges » présentes au Grand-Duché à y rester domiciliées. A voir. L’impact budgétaire net de cette hausse fiscale pour les personnes physiques sera pour le moins très limité, et en tous cas incertain.

La météo des mesures fiscales annoncées est également fort mitigée en ce qui concerne les sociétés. Les aspects plutôt favorables tout d’abord : l’abolition de la taxe de 0,24% frappant les cessions de créances, la transmission d’entreprises familiales facilitée par la défiscalisation sous conditions des plus-values sur les immeubles et terrains, la diminution de 21% à 19% en 2017, puis à 18% en 2018, du taux d’affichage de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC ; hors impôt commercial communal et impôt de solidarité), enfin l’augmentation de 15 000 à 25 000 du revenu imposable en-dessous duquel un taux d’imposition préférentiel à l’IRC s’applique – ce taux préférentiel passant en outre de 20% à 15% dès 2017. Un encouragement louable à l’entrepreneuriat et au futur régime de la sàrl simplifiée (en espérant que le projet de loi afférent aboutira bientôt…).

Ce n’est pas rien, mais ces améliorations sont dominées par des aspects beaucoup moins reluisants. Tout d’abord, le timide pas dans la bonne direction en termes de taux d’affichage ne nous permet pas de rivaliser un tant soit peu avec l’Irlande, le Royaume-Uni ou la Suisse. Au niveau de l’imposition des sociétés, le taux nominal global passera de 29,22 à 26,01% en 2018, ce qui est loin de la moyenne européenne et ce qui est encore plus éloigné des taux équivalents mis en avant par nos principaux concurrents dans ce contexte. Aucun effort non plus en termes de simplification administrative, avec un statu quo au niveau de la composition du taux global.

Face aux incertitudes entourant les effets des futures règles anti-BEPS sur les bases imposables, on peut comprendre l’attitude timide du Gouvernement par rapport à la baisse proposée du taux nominal de l’IRC. Par contre, pourquoi ne pas annoncer fermement – dans un souci de prévisibilité – que la baisse proposée de 21% à 18% (en 2018) du taux de l’IRC est à considérer « BEPS[1] constants », afin d’alimenter une baisse réelle de la fiscalité des entreprises ?

Je m’explique. Si le Gouvernement s’engage à ce que cette baisse de 3 points soit comprise comme une authentique diminution de la charge fiscale et qu’en même temps l’engagement soit pris – dès que l’impact haussier de BEPS sur les bases imposables est connu et quantifié – de soulager davantage et proportionnellement le taux, afin de compenser l’effet de l’élargissement, alors – oui – on aura fait un pas dans la bonne direction. A défaut, la baisse affichée sera fictive, vu l’élargissement inéluctable des bases imposables.

Le principe d’une telle diminution additionnelle des taux d’affiche de l’IRC, calibrée sur l’évolution de la base imposable résultant des « BEPS et autres » (le cas échéant au moyen d’une formule transparente) devrait être présenté de manière explicite et transparente par le Gouvernement (y compris à destination des entreprises étrangères), afin de dissiper les inquiétudes qui se font jour à propos de la stabilité et de la prévisibilité fiscale du Luxembourg. Cet appariement entre l’élargissement de la base et la diminution du taux d’affichage est d’ailleurs mis en avant par le FMI dans les « Concluding statements » de sa toute récente mission Article IV au Luxembourg.

La perception de la stabilité et prévisibilité fiscale a quant à elle été fort malmenée par l’annonce des dispositions portant sur l’impôt SOPARFI. Introduit en 2011, doublé en 2013, ré-augmenté de 50% en 2017… L’argument – et la vertu – de la stabilité et de la prévisibilité fiscale seraient-ils passés aux oubliettes ? Au-delà de cette question – légitime – rappelons tout de même que les SOPARFI ont représenté quelque 450 millions EUR ou 28% de l’IRC en 2014. Attractivité, stabilité et prévisibilité ne riment guère avec les possibles délocalisations et les menaces portant sur une importante manne budgétaire et sur la pérennisation au Luxembourg d’un écosystème de prestataires de services spécialisés en amont et en aval de ces sociétés financières.

Autre « pierre dans le jardin » de l’attractivité : l’utilisation plus restreinte des reports fiscaux pour les pertes réalisées à partir de 2017. Une annonce qui ne favorisera certainement pas la localisation au Luxembourg de multinationales étrangères. Nos concurrents irlandais, britanniques, néerlandais, etc. n’ont décidément pas beaucoup de soucis à se faire…

Dommage aussi que le Gouvernement n’en ait pas profité pour soutenir davantage les start-ups, par exemple à travers la déductibilité de pertes liées à des investissements dans de telles structures ou en prévoyant un système d’incitations fiscales en faveur d’investissements dans des start-ups de personnes privées.

Dans la même veine, je note l’absence de nouvelles annonces à propos de l’impôt sur la fortune (soit le prélèvement anti-économique par excellence) ou concernant l’extension de la bonification d’impôts pour investissements, l’introduction d’une réserve immunisée pour investissement des PME, le régime d’exonération de la propriété intellectuelle, la retenue à la source sur les dividendes sortants, le régime mères-filles, les aménagements de l’ICC, …

Un dernier mot sur les retombées budgétaires de l’actuel « package » fiscal : on mentionne dans les milieux gouvernementaux un montant de l’ordre de 500 millions d’euros, ce montant devant encore être affiné. C’est l’équivalent de 1% du PIB, soit plus du double du surplus structurel des Administrations publiques prévu pour 2017 par la Commission européenne et ce avant toute réforme. Une bonne maîtrise des dépenses courantes s’imposera plus que jamais afin de concilier le tout.

Le débat a seulement été lancé…

[1] et autre déclinaisons, notamment européennes, cf. ACCIS.

2 thoughts on “Réforme fiscale – Social : oui ! Attractivité : non !

  1. reforme inspiree du livre rouge de marx
    la suisse les pays bas l Irlande et autres pays peuvent dormir tranquille

  2. Une baisse de 3% tout comme une hausse de 1% du taux de l’IRC ne change rien à “l’attractivité de multinationales étrangères” : elles ne sont pas concernées, elles ont négocié un accord de ruling avant d’embaucher quelques personnes sur place aidées de stagiaires. Pour attirer une multinationale étrangère il n’y a qu’une seule solution : allez la draguer dans son pays et c’est ce que font les agences irlandaise (20 sales sillonnent le monde en permanence), suisses (idem l’IDA) et autres mais pas le Luxembourg qui confond fournisseur avec client.

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