Le Semestre européen et le besoin de réformes au Luxembourg

Le mécanisme intégré de coordination et de surveillance des politiques économiques européennes a été renforcé à partir de 2010, soit dans le sillage immédiat d’une crise économique et financière ayant particulièrement sévi en 2009, tant dans l’Union européenne qu’au Luxembourg. Ce cadre de gouvernance européen rénové se déploie selon un calendrier annuel bien précis, sous l’intitulé « Semestre européen ». Le Semestre européen s’échelonne d’octobre (remise des projets de plans budgétaires des Etats membres à la Commission européenne) à juillet (les recommandations de la Commission sont alors entérinées par le Conseil européen). Il vise non seulement à assurer une meilleure coordination/surveillance des politiques économiques entre Etats membres mais également à garantir une mise en parallèle, au sein de chaque Etat membre, de la politique budgétaire et de la politique économique.

Le Semestre européen est assez peu connu dans le grand public, malgré son importance cruciale non seulement à l’échelle européenne mais également sur un plan luxembourgeois. Un exemple concret et très proche : le projet de budget 2015, qui devrait être adopté par les Députés la semaine prochaine. Ce projet a été étroitement conditionné par le nouveau cadre de gouvernance économique européenne (volet pluriannuel, informations sur les garanties ou la soutenabilité à terme des finances publiques, « règle d’or », comptabilité SEC 2010, etc.) et il s’inscrit par conséquent dans le « Semestre européen ». Autre exemple de l’importance du Semestre à l’échelle luxembourgeoise : comme annoncé par les autorités nationales à la mi-novembre, les principaux documents relevant du Semestre européen seront désormais analysés dans le cadre d’un dialogue renforcé, impliquant les partenaires sociaux et les membres du Gouvernement au sein du Conseil économique et social.

Les aspects purement « finances publiques » du Semestre européen (notamment l’actualisation des Programmes de stabilité en avril) étant souvent commentés et afin de mieux coller à l’actualité récente, je me concentre dans les lignes qui suivent sur deux étapes du Semestre qui se déploient en parallèle tous les mois de novembre, à savoir l’examen annuel de la croissance et le rapport sur les mécanismes d’alerte. Ces deux documents préparés par la Commission sont tout à fait complémentaires. Alors que l’examen annuel met essentiellement en lumière les grandes priorités économiques à privilégier au niveau européen, le rapport sur le mécanisme d’alerte se concentre sur les spécificités nationales et s’attache à attirer l’attention sur les faiblesses des Etats membres susceptibles de menacer leur stabilité macroéconomique.

L’examen annuel de la croissance

L’édition 2015 de l’examen annuel de la croissance mérite le détour. La Commission y insiste sur la nécessité d’étayer la croissance économique européenne sur le trépied responsabilité budgétaire / investissements / réformes structurelles, qui permettra selon elle de relancer durablement la croissance.

La responsabilité budgétaire constitue la recommandation la plus traditionnelle, mais la Commission européenne y apporte d’utiles clarifications. Elle considère que les pays disposant d’une marge de manœuvre budgétaire suffisante doivent soutenir davantage la croissance et que les autres pays devraient, à dépenses totales constantes, favoriser les dépenses présentant l’effet d’entraînement économique le plus marqué (« expenditure shift »). Dans la même perspective, la fiscalité devrait favoriser la croissance à travers une meilleure structure d’incitations. Il s’agirait notamment de supprimer ou de diminuer les prélèvements les plus distordants, d’étudier l’opportunité d’élargir les bases taxables et d’encourager davantage, par le biais de la fiscalité, les investissements des entreprises. Il conviendrait aussi d’alléger la fiscalité sur le travail en augmentant par exemple les impôts sur la propriété immobilière. Une transparence accrue du système fiscal et sa simplification permettraient, selon la Commission, de renforcer son efficience et la prévisibilité de l’impôt. Ces recommandations sont intéressantes dans le cadre de la préparation de la réforme fiscale globale luxembourgeoise, qui devrait selon le Gouvernement entrer en vigueur en janvier 2017. Enfin, la Commission européenne n’oublie pas la nécessité de veiller à l’efficience des Administrations publiques.

Le second pilier de l’approche intégrée de la Commission concerne les investissements. Ces derniers, tant publics que privés, ont nettement décru au cours des années récentes. Alors qu’ils représentaient respectivement 3,4 (public) et 19,2% (privé) du PIB de l’UE en 2008, ils se limitaient à 2,9 et 16,4% du PIB en 2013. Quand on connaît l’importance de ces dépenses pour la croissance potentielle et dans une perspective contra-cyclique, on comprend l’accent mis par la Commission sur ce pilier. Des investissements dynamiques présupposent selon elle la suppression de nombreuses barrières réglementaires. La Commission a par ailleurs récemment présenté devant le Parlement européen un « paquet d’investissements » de 315 milliards EUR portant sur les années 2015 à 2017. J’aurais souhaité que ce plan soit plus volontariste, par exemple en impliquant dès le départ les Etats membres dans le financement du socle du « Plan Juncker » (les fameux « seed funds » de 21 milliards EUR). Une telle implication des Etats aurait permis de faire jouer à plein l’effet de levier.

Le « Plan Juncker » aura cependant des retombées positives s’il permet de mettre en œuvre des projets efficients et susceptibles d’avoir rapidement des retombées macroéconomiques tangibles. La liste des projets déjà publiée est assez fournie, ce qui devrait faciliter la sélection de projets efficients et véritablement innovants. Cette initiative de la Commission européenne me paraît en tout cas bien préférable à l’inertie qui sévissait jusqu’il y a peu, d’autant qu’elle réserve une place importante aux PMEs, qui constituent le creuset de notre prospérité.

Le Luxembourg s’apprête pour sa part à consentir un effort d’investissement important dans les années à venir. Il reste cependant à voir si les investissements programmés dans le projet de budget pluriannuel 2015-2018 seront réellement mis en œuvre.

Le troisième pilier de la stratégie de croissance recommandée par la Commission est la mise en œuvre de « réformes structurelles », concept certes assez vague, mais auquel la Commission donne un contenu assez précis. Je tiens à citer les aspects suivants, qui concernent souvent de près le Luxembourg : (i) éliminer les entraves réglementaires ou autres dans des secteurs tels que l’énergie, les télécommunications, les transports ; (ii) approfondir le Marché unique des biens et services et promouvoir le Marché unique digital ; (iii) déréglementer les marchés de biens et services (les professions réglementées notamment) et renforcer la libre circulation ; (iv) faire en sorte que les régimes de protection sociale soient plus efficients et soutenables ; (v) favoriser l’attractivité et la compétitivité, avec des salaires davantage en ligne avec la productivité également au niveau des entreprises et des secteurs ; (vi) moderniser les marchés du travail afin de « libérer » la création d’emplois, de favoriser la mobilité de la main-d’œuvre et de combattre efficacement le chômage ; (vii) renforcer les qualifications et (viii) aménager un cadre favorisant les investissements des entreprises, notamment en lançant une « revue générale » de la réglementation européenne existante.

Ces recommandations de la Commission doivent trouver une traduction concrète au Luxembourg. En premier lieu, notre cadre réglementaire manque de flexibilité. Il convient donc de poursuivre la simplification administrative, de flexibiliser le droit du travail et l’organisation du temps de travail et de réformer les systèmes d’incitation au travail (soutenir l’emploi au lieu de financer l’inactivité). Il importe également de mettre fin à ou d’atténuer de nombreux mécanismes automatiques pernicieux. En second lieu, la main-d’œuvre qualifiée est difficile à trouver au Luxembourg, ce qui nous oblige à repenser le système d’enseignement, à développer la formation professionnelle et à briser le fameux « paradoxe luxembourgeois » en vertu duquel une croissance soutenue de l’emploi s’accompagne d’une hausse plus prononcée encore du chômage. Une lutte sans merci contre la sous-qualification de certains jeunes contribuerait puissamment à mettre fin à ce découplage. En troisième lieu, si la diversification économique est sur la bonne voie, elle doit impérativement s’accélérer dans un contexte caractérisé par l’impact de la fin du secret bancaire et par les répercussions LuxLeaks. Nous devons à cette fin viser une véritable montée en puissance de la substance économique et un renforcement substantiel des activités de recherche et développement.

Last, but not least : le Luxembourg doit, lors de « son » semestre européen de 2015, c’est-à-dire à l’occasion de sa présidence tournante du Conseil de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2015, promouvoir des accords commerciaux tels que TTIP (« Transatlantic Trade and Investment Partnership ») et TISA (« Trade in Services Agreement ») et œuvrer en vue de l’approfondissement et d’un meilleur fonctionnement du Marché intérieur dans l’intérêt des PMEs qui constituent la colonne vertébrale des économies européennes.

Rapport sur le mécanisme d’alerte

Comme déjà souligné, l’examen de la croissance s’accompagne d’un rapport de la Commission sur le mécanisme d’alerte, élaboré dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques. Il permet de mettre en relief, sur la base d’un tableau d’indicateurs précis appelé « scoreboard », les points faibles des divers Etats membres.

Il est symptomatique que la version 2015 du rapport sur le mécanisme d’alerte mette pile le doigt sur le talon d’Achille traditionnel du Luxembourg, à savoir le dérapage de nos coûts salariaux unitaires : +10,5% en trois ans selon la Commission, soit le pire résultat de la zone euro… Le  rapport établit d’ailleurs un lien entre la dégradation de nos coûts salariaux unitaires (CSU) et celle du solde courant, comme l’illustre le graphique suivant directement extrait du rapport. Ce graphique montre que la forte augmentation de nos CSU de 2004 à 2013 (courbe rouge) s’est accompagnée d’une sensible décrue de l’excédent de la balance courante (courbe bleue), qui décrit entre autres la capacité des entreprises luxembourgeoises à écouler leurs biens et services sur les marchés étrangers et à y augmenter leurs parts de marché.

graph 11_12_2014

 

 

 

 

Source : Rapport sur le mécanisme d’alerte 2015, Commission européenne.

 

 

Il convient par ailleurs de noter que si le scoreboard ne comporte (malheureusement) pas d’indicateurs de la soutenabilité à long terme des finances publiques, cet aspect n’est nullement éludé dans le rapport sur le mécanisme d’alerte 2015, où il est indiqué pour le Luxembourg « While general government debt is currently in a favourable position, high sustainability risks exist in the longer term due to mounting age-related liabilities ».

Conclusions : le diagnostic convergent va-t-il donner lieu à des actions concertées ?

Ces deux préoccupations majeures du rapport sur le mécanisme d’alerte en ce qui concerne le Luxembourg sont tout à fait partagées par la Chambre de Commerce, qui lors d’une conférence de presse le 8 décembre dernier, a souligné le fait que :

  • Les coûts de production des entreprises doivent être maîtrisés : il convient notamment d’enrayer l’évolution défavorable des coûts salariaux unitaires.
  • La politique budgétaire doit veiller à la soutenabilité à terme des finances publiques (réformes des pensions, des régimes de santé, enrayer l’accroissement de l’endettement public, etc.).

Il reste à voir si cette convergence de diagnostics va se traduire par des actions concrètes de la part du Gouvernement. Ce dernier a en tout cas annoncé à la mi-novembre 2014 l’organisation de concertations récurrentes avec les partenaires sociaux, qui auraient lieu à dates fixes et en coordination étroite avec le Semestre européen. Plus précisément, deux rencontres de dialogue des partenaires sociaux seraient organisées au sein du CES aux étapes clef du semestre européen, à savoir (i) en janvier 2015 après la publication de l’examen annuel de croissance et des documents européens afférents et (ii) une rencontre en mars 2015, avant l’envoi du Programme national de réforme et de l’actualisation du Programme de stabilité et de croissance en avril. Il s’y ajouterait des rencontres et échanges de vues entre partenaires sociaux (en l’absence du Gouvernement) sur les différents thèmes du Semestre européen qu’ils entendent aborder, notamment suite à l’adoption par le Conseil de l’Union européenne, en juillet, des recommandations devant être mises en œuvre par les Etats membres dans le cadre du projet de budget relatif à l’année suivante.

Je ne peux que louer une telle volonté de concertation, mais j’espère dans le même temps que cette opportunité sera saisie pour réfléchir activement aux réformes requises afin d’enrayer la détérioration de la compétitivité des PMEs luxembourgeoises et de restaurer l’équilibre à long terme de nos régimes sociaux (pensions, santé et assurance dépendance en particulier).

Sous ces hypothèses, je pense que nous pourrons entamer l’année 2015 avec un certain optimisme et je souhaite dès à présent de bonnes fêtes de fin d’année à tous les lecteurs de ce blog !

One thought on “Le Semestre européen et le besoin de réformes au Luxembourg

  1. la baisse des depenses c est pour quand
    tous les pays qui ont augmente les impots
    ont vite dechantes et font machine arriere

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