Chers lectrices, chers lecteurs,
Tout d’abord, je tiens à vous souhaiter à toutes et à tous une excellente année 2016 !
Comme chaque nouvelle année, 2016 apportera son lot de réformes, qui, je l’espère, contribueront au développement socio-économique et sociétal de notre pays.
Rares sont cependant les réformes chamboulant tout un secteur économique en modifiant totalement les règles juridiques applicables.
C’est pourtant ce que se propose de faire le gouvernement concernant le secteur de la location de locaux commerciaux, qui devrait connaître au courant de cette année une modification totale du régime juridique du bail commercial.
La Chambre de Commerce vient de publier son avis relatif au projet de loi n°6864 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil (cf. www.cc.lu rubrique « Avis-législation »).
A l’origine de ce projet de loi, se trouve notamment la faillite retentissante de nombreuses boutiques du centre ville en septembre 2013, qui avait mis en lumière certains dysfonctionnements du secteur et incité le gouvernement de l’époque à préparer en urgence un avant-projet de loi relatif au bail commercial. Cet avant-projet de loi a été repris et modifié par le gouvernement actuel.
On ne peut nier que le secteur de la location de locaux commerciaux se trouve actuellement soumis dans certains cas à des pratiques abusives et à une spéculation intensive ayant prospéré en l’absence de législation particulière, conduisant au développement et à la généralisation de pratiques telles que le paiement de pas-de-porte parfois démesurés, l’augmentation de loyers ou la demande de garanties locatives excessives lors de la conclusion du contrat de bail.
Une refonte complète du régime des baux commerciaux s’imposait par conséquent afin de remédier aux dysfonctionnements constatés et de favoriser l’installation de nouveaux commerces, tout en sécurisant ceux d’ores et déjà établis. Il y a par conséquent lieu de se féliciter de la volonté de réforme affichée par le gouvernement.
Le projet de loi, qui s’inspire des régimes belge et français en la matière, bouleversera considérablement les habitudes de tous les acteurs de ce secteur alors qu’il entend interdire certaines pratiques et introduire certains mécanismes jusqu’alors inconnus de notre système juridique.
Mais la révolution juridique envisagée suffira-t-elle à améliorer concrètement la situation sur le marché de l’immobilier commercial? Il est permis d’en douter.
Parmi les mesures prévues par le projet de loi, il y a lieu de saluer (i) le libre choix laissé aux parties concernant la durée minimale du contrat de bail commercial, particulièrement adapté aux nouvelles pratiques notamment celle des « pop-up stores », (ii) la future interdiction des pas-de-porte qui devrait contribuer à favoriser l’initiative commerciale, ou bien encore (iii) l’introduction de la faculté pour le locataire de résilier à tout moment le contrat de bail lorsque la poursuite de l’activité provoquerait à court terme sa faillite.
D’autres dispositions du projet de loi pourraient par contre avoir un effet inverse à celui désiré. Ainsi, la limitation du montant de la garantie locative à un maximum de trois mois de loyers méconnaît le rôle important que constitue cette garantie pour les propriétaires puisqu’elle peut notamment servir à remettre les locaux loués en état dans l’hypothèse de dégradations imputables au locataire, ou à apurer tout ou partie des arriérés de loyers.
La limitation du montant de la garantie locative à seulement trois mois de loyer risque ainsi d’apparaître insuffisante pour assurer un minimum de sécurité aux propriétaires, qui préféreront alors se tourner vers des locataires offrant plus de gages de sécurité (les grandes enseignes au détriment des commerces traditionnels et des créateurs d’entreprises), voire même renoncer à proposer leur bien à la location. La Chambre de Commerce a par conséquent proposé dans son avis que le montant maximum de la garantie locative soit fixé à six mois de loyers.
Les dispositions du projet de loi relatives à la lutte contre la pratique de la sous-location « spéculative » pourraient également poser quelques problèmes alors que le projet de loi envisage de permettre au propriétaire de « court-circuiter » le locataire principal en se substituant à lui dans la relation avec le sous-locataire.
Appliquée stricto sensu, cette mesure pourrait remettre en cause certains modèles économiques basés notamment sur des multimarques ou des modèles de franchise à enseignes multiples, constituant des modèles de sous-location tout à fait pertinents (cf. par exemple le principe « shop-in-shop »). La Chambre de Commerce a par conséquent proposé que le projet de loi inclue la possibilité pour les parties de renoncer à cette disposition.
La mesure la plus polémique du projet de loi est cependant probablement la modification complète du régime du droit pour le locataire au renouvellement de son bail, actuellement limité à une période allant de la troisième année d’exploitation effective jusqu’à la quinzième année de location[1].
Faisant table rase de ce système, le projet de loi introduit le caractère illimité dans le temps du droit au renouvellement du bail pour le locataire. Le projet de loi prévoit néanmoins certaines hypothèses où le propriétaire pourra mettre en échec ce droit au renouvellement sans devoir payer aucune indemnité à son locataire.
De même, après neuf années d’occupation des lieux, le propriétaire pourra refuser le renouvellement en réglant à son locataire une indemnité d’éviction dont le montant ne pourra être inférieur à douze mois de loyers. Cette indemnité d’éviction pourra éventuellement être prise en charge par le nouveau locataire.
Dans son avis, la Chambre de Commerce s’est prononcée en faveur de la suppression du montant minimum pour l’indemnité d’éviction, lequel apparaît en effet contraire au principe de liberté contractuelle et pourrait, dans certaines hypothèses, être supérieur à la valeur réelle du fonds du locataire.
La Chambre de Commerce s’est par ailleurs opposée à l’application immédiate des dispositions de la future loi aux contrats en cours, alors que cela remettrait en cause l’équilibre de contrats négociés et conclus sous une autre législation et serait de ce fait contraire au principe de sécurité juridique. Elle a encore déploré l’absence de dispositions réglementant la question de la répartition des charges locatives ou de la prise en charge de certains travaux.
Si le projet de loi opère donc un rééquilibrage des droits entre locataires et propriétaires et interdit certaines pratiques constatées dans les secteurs les plus prisés, il est cependant regrettable que la question fondamentale du montant des loyers ait été éludée.
Il est en effet indiscutable que l’une des causes majeures des dysfonctionnements constatés dans ce secteur réside dans le montant de certains loyers. Or, vouloir traiter uniquement les symptômes d’une maladie sans s’intéresser à sa ou ses cause(s) n’a jamais offert de garanties de guérison !
Si un système de plafonnement des loyers n’est certainement pas la solution, une réflexion approfondie ainsi que la mise en place de mesures concrètes s’avèrent indispensables pour enrayer la hausse des loyers commerciaux.
A ce titre, des réformes d’ordre structurel, notamment via l’augmentation de l’offre de locaux commerciaux par l’intermédiaire d’une simplification et d’une accélération des procédures de mise sur le marché de nouveaux biens, pourraient permettre de stabiliser efficacement les prix sur le marché de la location de locaux commerciaux.
La Chambre de Commerce a ainsi plaidé dans son avis en faveur d’une réflexion (i) quant à l’amélioration des procédures de mise sur le marché de nouveaux biens afin de simplifier et accélérer celles-ci, ainsi que (ii) quant à l’instauration de mesures incitatives encourageant les propriétaires à mettre leurs biens en location, de manière à favoriser une augmentation de l’offre des locaux commerciaux disponibles à la location.
De même, afin de pouvoir surveiller de près les effets de la réforme envisagée, la création d’un « Observatoire des baux commerciaux » destiné à surveiller l’évolution générale du secteur des baux commerciaux et à formuler des propositions afin de remédier aux dysfonctionnements constatés, pourrait certainement être utile.
A défaut de telles mesures complétant efficacement la réforme envisagée, la problématique du montant parfois exorbitant des loyers risque donc de perdurer, voire de s’accentuer…. et la révolution envisagée n’aurait alors qu’un impact limité.
[1] Article 1762-4 du Code civil.