Hausse de la TVA : une note salée pour les entreprises ?

Disons-le d’emblée : la hausse de TVA telle qu’elle est envisagée n’est pas une bonne nouvelle. Ni pour les consommateurs, ni pour les entreprises et ni donc, par corollaire, pour l’économie luxembourgeoise. Le rendement de l’hypothétique plus-value fiscale que les autorités publiques souhaitent en dégager est pour le moins incertain. L’effet linéaire et statique de la hausse des taux interagit avec de nombreux effets dynamiques : marges sacrifiées, prix ajustés à la hausse, perte de compétitivité-prix du commerce luxembourgeois vis-à-vis de la Grande Région, nouvelle dégradation de la compétitivité fiscale du Luxembourg et j’en passe.

Le relèvement de la TVA semble pourtant décidé, acquis, chose faite. Ainsi, nous devons résolument nous poser la question comment – au strict minimum – en limiter les dégâts. Rappelons-le, la TVA est un impôt indirect – qui grève non pas un contribuable en fonction de ses revenus ou de son patrimoine – tout comme elle est un impôt qui grève le consommateur final de certains biens et services. Ce dernier n’est d’ailleurs pas nécessairement une personne physique comme si souvent invoqué. La nature indirecte de l’impôt fait en sorte qu’il est dû dès qu’un certain acte de consommation est posé.

Comment faire en sorte qu’un relèvement d’un impôt sur la consommation ne se transforme en coût de production pour les entreprises ?

Nous devons assurer que la philosophie de cet impôt indirect sur la consommation finale ne soit pas dénaturée de sa finalité originale. Or, ce risque est bien réel. Si nous partons du principe qu’une partie de la hausse des taux se retrouvera dans les prix de ventes – les marges des entreprises, déjà fortement déprimées dans un contexte par ailleurs inédit en matière de dégradation de la productivité du travail et de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise en général – cette hausse aura un impact sur le prix du panier sous-jacent à l’indexation des salaires.

En effet, l’indice des prix à la consommation national (IPCN) comprend bien les prix finaux payés par les consommateurs, toutes taxes comprises. Ainsi, pour schématiser, si la hausse de la TVA de 2% était répartie « équitablement » entre l’entreprise – qui baisserait sa marge de 1% – et le consommateur final – qui paierait 1% plus cher – la valeur du « panier de la ménagère » progresserait également de 1%. En réalité, la hausse sera inférieure à 1% car tous les produits inclus dans le panier ne sont pas soumis à TVA et certains, en l’occurrence les biens de première nécessité, sont soumis au taux super-réduit de 3% qui demeurerait inchangé. Mais gardons la hausse des prix de 1% pour des raisons de facilité.

Si nous n’agissions pas, ladite hausse de 1% ferait en sorte que la prochaine échéance indiciaire viendrait à échéance de manière plus précoce. Le mécanisme de l’indexation étant déclenché dès que la moyenne semestrielle de l’IPCN atteint ou dépasse un certain seuil (pour faire court, dès que les prix augmentent de 2,5% sur une moyenne semestrielle), la hausse de la TVA aurait pour conséquence de déclencher plus vite la prochaine tranche indiciaire. Le seuil de matérialité du déclenchement se situant à 2,5%, dans l’exemple illustratif ci-avant, la hausse des prix de 1% contribuerait à hauteur de 40% (1,0% divisé par 2,5%) audit déclenchement.

Or une telle manière de procéder aurait pour conséquence que les entreprises devraient de facto payer la note. Elles devraient accorder 2,5% de masse salariale additionnelle à l’ensemble de leurs travailleurs plus tôt qu’en l’absence du relèvement de la TVA. Et vu la contribution à hauteur de 40% de la hausse des prix de 1% au déclenchement de la tranche, 1% des 2,5% de hausse salariale (soit 40% de 2,5%)  constitueraient en quelque sorte la « compensation » intégrale de la hausse des prix modérée opérée par les entreprises en réaction à la hausse de la TVA de 2%.

Récapitulons : la TVA augmente de 2%. Les prix à la consommation n’augmentent pas mécaniquement de 2% comme il est parfois sous-entendu dans les discussions et les médias. Les entreprises, fortement exposées à la concurrence, sacrifient 1 point de pourcentage au niveau de leur marge et répercutent le pourcent qui reste dans leurs prix finaux. Le fardeau de la hausse de la TVA et ainsi réparti équitablement… et ceci malgré le fait qu’il s’agisse, philosophiquement, d’un relèvement d’un impôt sur la consommation qui ne devrait a priori pas concerner les entreprises ou tout au moins les consommateurs non-finaux de biens et de services soumis à la TVA. Or, par un effet de second tour, quelques mois après la hausse de la TVA, une tranche indiciaire serait déclenchée, largement aidée par ladite hausse de TVA. Les entreprises verraient leurs coût salariaux, et donc de production, grimper de 2,5%, dont 1% viendrait en « compensation » des hausses de prix opérées suite au relèvement de la TVA. Ayant déjà précédemment sacrifié 1% de leur marge, le coût salarial dont elles doivent s’acquitter augmenterait, lui aussi, de 1% (40% de 2,5%). Ainsi, les entreprises n’auront non seulement payé à deux reprises (renonciation à une partie de leur marge et hausse salariale), mais de facto elles auraient payé l’intégralité de la hausse de notre impôt sur la consommation finale.

L’absurdité de ce raisonnement schématique démontre une réalité bien tangible : au-delà de ses ramifications sur le budget des ménages, la TVA est néfaste pour l’économie et les entreprises, met sous pression des marges déjà fort déprimées et accélère la dérive salariale luxembourgeoise, épinglée à juste titre par la Commission européenne dans le cadre de la procédure contre les déséquilibres macroéconomiques.

Ainsi, il est crucial, d’une manière ou d’une autre, d’éviter la transmission de la hausse de l’impôt sur la consommation sur les coûts de production des entreprises. La loi 31 janvier 2012 adaptant certaines modalités d’application de l’échelle mobile des salaires et traitements comporte a priori un précédent juridique, ou tout au moins une piste, intéressante. Il s’agit, pour rappel, de la loi ayant pour objet de moduler « l’index » jusqu’au 31 décembre 2014. D’après cette loi, dès le 1er janvier 2015, le mécanisme non-modulé de l’indexation devrait, de nouveau, entrer en vigueur. Ainsi, pour éviter un déclenchement intempestif d’une tranche indiciaire au début de l’année 2015 (après celle d’octobre 2014 en supposant que cette dernière viendra bien à échéance), la loi en question propose une « remise à zéro » du compteur d’inflation servant au déclenchement de l’indexation suivante.

D’où alors l’idée suivante : afin d’éviter un dénaturement de la hausse de la TVA, qui se transformerait de facto en un coût de production supplémentaire, il faudrait inclure dans la disposition légale qui mettrait en œuvre le relèvement de la TVA une modalité qui consisterait à remettre à zéro le compteur d’inflation quelque 2 à 3 mois après la hausse de la TVA en question. Ceci paraît le seul moyen pour neutraliser le relèvement de la TVA de l’IPC. Il s’agit d’une solution, concédons-le, rapide et sans doute imparfaite. Elle pourra être mise en œuvre qu’une seule fois, en attendant une double réforme : du système d’indexation, d’une part, et du calcul de l’indice sous-jacent, d’autre part. L’indice sous-jacent comprend actuellement des taxes indirectes, des produits nocifs pour la santé et des matières premières dont les prix sont fixés sur des marchés internationaux. Ce sont autant d’éléments sur lesquels nos entreprises n’ont aucune emprise. Or, elles doivent in fine en subir les conséquences via le truchement de l’échelle mobile des salaires.  Food for thought.

One thought on “Hausse de la TVA : une note salée pour les entreprises ?

  1. Cher Monsieur, Je me permets de vous contacter en réaction à votre article mais également aux derniers propos tenus par le Ministre Etienne Schneider.
    En effet, ce dernier souhaiterait voir les commerces du Luxembourg ouvrirent les dimanches. Quelle merveilleuse idée…vraiment. Cependant, si sur ce point, la Place aurait beaucoup à gagner…En effet, nous pourrions “briller” par rapport à nos pays voisins directs et cela permettrait certainement à des TPE comme les nôtres de devoir engager du personnel et non pas seulement réorganiser le temps de travail de ceux que nous employons déjà. Tout ceci cependant dessert très bien la Place Luxembourgeoise et ses dirigeants. En ce qui nous concerne, que pouvons-nous espérer en retour ?
    Ne pensez-vous pas qu’il serait alors du meilleur effet de pouvoir nous inciter à vouloir participer à ce changement ? Que dire des emplois dominicaux surtaxés…Ne pourrions-nous pas envisager d’être traité comme la restauration où le dimanche devient un jour de prestation comme les autres jours de la semaine ? Ne pourrions-nous pas envisager également que l’ensemble des moyens logistiques tels que les bus ou trains soient revus afin de permettre tout cela ? Ne pourrions-nous pas envisager un barême TVA (15%) qui resterait, comme vous l’expliquez, plus compétitif, afin de ne pas diminuer nos marges et/ou augmenter nos prix ? Je constate que le gouvernement souhaite aller dans un sens qui est certes le bon mais ne donne aucune arme en retour pour nous donner cette envie.
    Pour votre information, je suis propriétaire d’un magasin sis rue Philippe II. J’ai créé il y deux ans maintenant une asbl du nom “association rue Philippe II”. Nous tâchons, via cette asbl, de créer une dynamique en Ville par le biais de manifestations telles que les Vignes (anciennement Vendanges) et autres actions à venir. Je pense que le souhait général est là…l’incitation par les pouvoirs publics manque cruellement.

    Cordialement

    CV

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