Bénéficier de l’éclaircie conjoncturelle pour mieux maîtriser nos défis

1ère partie – inflation et indexation : pour quand le divorce de raison ?

Lors de son discours à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la Foire de printemps 2014, la secrétaire d’État à l’Economie a rappelé, à juste titre, que le ciel conjoncturel était certes désormais plus dégagé, mais en même temps, et je me permets de paraphraser quelque peu, que l’après-crise ne sera pas (automatiquement) le pré-crise en termes de performances macroéconomiques luxembourgeoises. La situation ne serait « pas aussi grave que nous le pensons », mais la nouvelle croissance doit provenir tant de l’extérieur que de la mobilisation de nos forces internes.

Une nouvelle ère et un nouveau paradigme s’annoncent. Or, de nombreux problèmes – anciens – subsistent. A travers une série de deux posts sur ce blog, je souhaite aborder deux de ces défis : le différentiel d’inflation, d’abord, et la problématique du chômage des jeunes, in fine. L’actuelle embellie conjoncturelle me semble en effet particulièrement propice pour s’atteler à des réformes courageuses pour résoudre ces deux casse-têtes. Le message sera le même : oui, « les choses vont mieux » aujourd’hui, mais elles ne vont durablement aller mieux que pour autant que nous fassions nos devoirs pour, justement, mobiliser nos forces internes.

« L’inflation est basse, donc il n’est pas nécessaire de remodeler l’index ».

Ce message, à son wording exact près, on a pu l’entendre à répétition ces derniers temps, y compris dans le récent discours sur l’état de la nation. Il suffit apparemment que la hausse de prix soit momentanément moins élevée pour faire passer aux oubliettes une double annonce prise dans le programme gouvernemental : l’étude d’une désindexation généralisée, d’une part, et une nouvelle modulation indiciaire, d’autre part. Pour ce deuxième volet, il est néanmoins précisé, dans le programme de coalition, qu’une telle intervention ne se fera que « dans la mesure où il est constaté que le Luxembourg n’est pas complètement sorti de la crise économique ».

Ainsi, nous serions donc non seulement sortis une fois pour toutes du bas de cycle conjoncturel, mais en même temps, la hausse des prix est basse, ce qui nous donne un solide argument pour demeurer inactifs du côté de l’échelle mobile des salaires. Une évolution passagère favorable permettant de masquer une défaillance structurelle ; une recette qui, somme toute, semble avoir très bien fonctionnée par la passé. Or, si nous sommes réellement sortis de l’auberge, comment alors expliquer le chômage record, les finances publiques vacillantes ou encore la compétitivité dégradée ; et ce à l’aube de l’année 2015 de toutes les incertitudes ? Et pouvons-nous réellement crier victoire sur le front des prix si en seulement deux ans, 2014 et 2015, nous perdrons prévisiblement encore 1,8% par rapport à la zone euro en matière d’inflation (prévisions émanent de la Commission européenne) ?

L’absolu et le relatif : deux revers d’une même médaille

J’estime que du côté des prix, nous ne devons pas perdre de vue le facteur qui compte réellement : beaucoup plus que le niveau absolu d’inflation – dont une partie substantielle échappe aux opérateurs économiques nationaux, voire européens (énergie, matières premières, etc.) – les entreprises (et d’ailleurs les ménages) considèrent l’évolution relative des prix. Et pour cause : nos prix augmentent plus vite que les prix de nos principaux concurrents et de nos voisins.

Quelques chiffres à l’appui. Entre 1999 et 2013[1], notre différentiel d’inflation était de 5,5 points de pourcentage (pp) par rapport à la zone euro (soit l’équivalent de plus de 2 tranches indiciaires), voire même de 10,2 pp par rapport aux 3 pays limitrophes, soit 5 tranches.

D’après des calculs récemment publiés par Eurostat[2], les prix à la consommation finale des ménages (TVA comprise) au Luxembourg étaient, en 2002, compétitifs en Grande Région. En effet, aucun de nos pays voisins n’avait, in globo, un niveau de prix moins élevé que le nôtre, les prix français et allemands ayant même été plus chers. En l’occurrence, en 2002, les prix à la consommation finale luxembourgeois, exprimés par rapport à la moyenne européenne, avaient atteint un indice 102 (càd nos prix ont dépassé la moyenne européenne de 2 points, la moyenne étant calibré à la valeur 100). A ce moment, le niveau des prix dans nos pays voisins atteignait respectivement 102 pour la Belgique, 107 pour l’Allemagne et 104 pour la France. Or, 10 ans après, en 2012, le niveau général des prix luxembourgeois est de loin le plus élevé dans ce groupe de pays (+ 20 points, indice 122), alors que le niveau de prix (toujours relativement à la moyenne européenne) allemand a baissé de 5 points (indice 102), les prix belges (+7, indice 109) et français (+5, indice 109) n’augmentant que modérément. Un écart de 25 points en 10 ans par rapport à notre premier partenaire économique, à savoir l’Allemagne… !

Si l’on garde parallèlement à l’esprit que certains, sinon l’ensemble, de nos pays voisins ont augmenté leurs taux de TVA au cours de la période analysée (p.ex. encore l’Allemagne, de 16% à 19%), contrairement au Luxembourg qui va seulement procéder de la sorte en 2015, on voit encore mieux l’envergure du problème. A la décharge du Luxembourg, on peut toutefois retenir que le panier de biens et services grand-ducal surpondère notamment les produits énergétiques, mais bien sûr, ce facteur n’explique guère tout.

Le temps est venu pour passer à l’action

Au vu de ces évolutions, il semble tout à fait approprié de parler de dérapage inflationniste au Luxembourg. A l’inflation importée (basse en ce moment), le Grand-Duché additionne une importante composante faite maison. Inflation, indexation, inflation, indexation… un cercle vicieux, un puits sans fond, qui risque de se muer en cataclysme à long terme pour le Luxembourg, car il est à la base d’une évolution exponentielle et donc par nature insoutenable. Une croissance moins inflationniste, plus durable et davantage soutenable n’est pas compatible avec un tel auto-allumage des prix.

Ainsi, si le Luxembourg veut véritablement œuvrer en faveur du rétablissement de la compétitivité-coûts (rappelons que nos parts de marché à l’exportation se sont repliées de 18% sur les 5 dernières années…), il doit avoir le courage d’œuvrer résolument en faveur de la désindexation généralisée, quitte à moduler l’indexation en attendant la finalisation des études afférentes en toute sérénité.

Il vaut mieux traiter les symptômes du mal inflationniste que de vouloir masquer ses effets avec le poison doux de l’indexation sans modération. La dépendance du Luxembourg de l’index s’est installée, mais l’envergure des symptômes de sevrage pourra être maîtrisée. Car, après tout, le contexte n’a jamais été aussi propice aux réformes qu’aujourd’hui. En effet, ne sommes-nous pas sortis de crise et l’inflation n’est-elle pas historiquement basse aujourd’hui ?

Dans mon prochain post, je compte traiter de l’autre problème structurel à résoudre rapidement, en l’occurrence le chômage, et notamment le chômage des jeunes.

[1] Ces chiffres sont issus du Bulletin n°1, 2014 de la BCL.

[2] Voir sous : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/statistics_explained/index.php?title=File:Comparative_price_levels,_2002%E2%80%9312_(1)_(final_consumption_by_private_households_including_indirect_taxes,_EU-27%3D100)_YB14_I.png&filetimestamp=20140311145702

http://epp.eurostat.ec.europa.eu/statistics_explained/index.php/Consumer_prices_-_inflation_and_comparative_price_levels

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