Une hausse des prix qui s’installe dans la durée

Avec un taux d’inflation annuel[1] évalué à 4,1% en décembre 2021 et à 3,6% en janvier 2022[2] par le STATEC, la hausse des prix garde un taux soutenu, menaçant la consolidation de l’économie du Luxembourg et pesant sur les coûts à la charge des entreprises. L’effet sur leur compétitivité est indéniable, ces dernières voyant leurs marges et leur rentabilité reculer, avec pour conséquence de voir réduire leurs capacités d’innovation et d’investissement à moyen terme, notamment dans les transitions digitales et environnementales. A long terme, cela peut peser sur le potentiel de croissance del’économie, laissant craindre des disparitions d’entreprises entraînant des pertes de recettes fiscales pour l’Etat, une baisse de l’attractivité du Luxembourg, et des freins à la diversification économique. Afin de contrer ce cercle vicieux avant qu’il ne s’installe durablement, l’heure est à l’action. 

Une reprise économique abrupte à l’origine de la flambée inflationniste 

Après une année 2020 touchée par une crise sanitaire et économique mondiale, 2021 s’est caractérisée par une reprise économique progressive. Cette reprise fut synonyme de forte demande en matières premières et produits énergétiques, émanant d’abord des Etats-Unis et de la Chine notamment, et de l’Europe ensuite. L’offre a rencontré de plus en plus de difficultés à suivre cette demande exigeante, notamment pour les raisons suivantes : les interruptions dans les chaînes d’approvisionnement dues entre autres à la pandémie, la pénurie de matières premières, et le manque de main-d’œuvre qualifiée et disponible. En conséquence, la flambée des prix des matières premières et de l’énergie a engendré le début d’une poussée inflationniste mondiale. Ses effets sont d’autant plus marqués dans l’Union européenne que celle-ci est fortement dépendante aux importations, notamment en terres rares, lourdes et légères, dont la majeure partie vient de Chine.  

Aux goulets d’étranglement dans les chaînes de production et d’approvisionnement mondiales s’ajoutent des raisons exogènes au marché qui accentuent l’envolée du cours de l’énergie. Un hiver 2020-2021 long et froid en Europe a augmenté la demande, alors que des aléas climatiques à travers le monde ont diminué l’offre mondiale. En ajoutant les tensions géopolitiques impliquant notamment la Russie et l’Ukraine, principaux pays fournisseur de gaz en Europe, ainsi que le renchérissement des prix énergétiques induit par la transition écologique, tout est réuni pour que le coût énergétique, à charge des ménages et des entreprises, explose.  

L’énergie explique la moitié de l’inflation, exacerbant les coûts liés à la transition écologique et énergétique  

Dans la Zone euro, les prix de l’énergie connaissent une hausse annuelle de 28,6% en janvier 2022 (et +6% par rapport à décembre 2021).  

Au Luxembourg, le taux d’inflation annuel du gaz était en décembre 2021 de 61,3% et celui des combustibles liquides de 63,4%. Malgré un léger recul du prix de l’or noir ces derniers mois, un nombre croissant d’experts s’attendent à ce que les prix de l’énergie restent élevés jusqu’en 2023 au moins.  

Le taux d’inflation annuel, calculé sur la base de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), était de 4,6% au Luxembourg en janvier 2022, 8,5% en Belgique, 5,1% en Allemagne et de 3,3% en France.[3] Cette forte inflation vient s’ajouter aux grands défis auxquels font face les entreprises que sont les transitions énergétique et environnementale. Les politiques en la matière fixent des objectifs ambitieux. Ces transitions, très rapides si l’on songe notamment aux échéances de 2030, ont toutefois un coût, qui se retrouve exacerbé par la pénurie des matières premières et les coûts de l’énergie, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et le manque de main-d’œuvre. 

Les coûts de production des entreprises sont directement affectés par plusieurs facteurs concomitants : un développement trop poussif de la production d’électricité provenant d’énergies renouvelables au Luxembourg et en Europe, la volonté d’arrêter progressivement la production d’électricité provenant d’énergies non-renouvelables, la dépendance de l’Europe vis-à-vis d’autres parties du monde en ce qui concerne notamment le gaz et les métaux rares, ou encore la hausse des prix du carbone, des matières premières et de l’énergie fossile. Ajoutons à cela le manque de main-d’œuvre qualifiée, qui fragilise la productivité des entreprises, et qui ajoute une pression supplémentaire sur les coûts de production.  

Un problème global qui nécessite d’abord une réponse européenne forte 

Cette tendance risque de se poursuivre en 2022 et au-delà, mettant durablement en péril l’économie si aucune solution européenne, mais également nationale, n’est trouvée. 

L’Union européenne doit plancher sur des solutions dans plusieurs domaines afin de résoudre la crise énergétique et réussir ses transitions écologique et environnementale : renforcer les installations de stockage d’énergie et envisager un approvisionnement commun en gaz afin de disposer d’un meilleur pouvoir de marché ou encore promouvoir l’énergie renouvelable « Made in Europe » en réduisant la dépendance aux énergies fossiles provenant d’autres pays. Cette contribution devra également passer par le soutien à la recherche et à l’innovation dans ces domaines.  

Le Luxembourg, en raison de sa petite taille, ne peut pas agir seul et a ainsi tout intérêt à collaborer à l’effort collectif de recherche et d’implémentation de solutions européennes, notamment en raison des besoins énergétiques importants de son économie. 

Nous avons besoin de trouver une réponse à la dépendance européenne à la production de matières premières hors-UE, primordiales pour les biens à haute valeur ajoutée. Il faut plus que jamais renforcer la résilience des chaînes de valeur et d’approvisionnement notamment pour les métaux rares. En effet, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit un quadruplement de la demande de matières premières à l’horizon 2040, afin de parvenir à limiter le réchauffement de la planète à moins de deux degrés d’ici la fin du siècle. 

Pour ce faire, il faut rapidement mettre en œuvre une stratégie européenne, dont notamment le European Chips Act présenté le 8 février dernier par la Commission européenne, qui vise à augmenter la production de micropuces sur tout le continent européen en réponse à la demande croissante et à réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseurs situés hors d’Europe. Actuellement, l’Union européenne assure 10 % de la production mondiale de micropuces et souhaite atteindre 20% d’ici à 2030 dans le cadre de sa quête d’ « autonomie stratégique ». Dans cette optique, la communication du 1er décembre 2021 de la Commission européenne sur le Global Gateway semble aller dans le bon sens. Un des enjeux de cette stratégie est de collaborer avec des pays partenaires à travers le monde afin de créer des infrastructures nécessaires aux chaînes de valeur durables et résilientes et diminuer de fait la dépendance à la Chine, notamment. A ceci s’ajoute, la création de l’Alliance européenne des matières premières non énergétiques (European Raw Materials Alliance, ERMA en anglais) qui est un pas dans la bonne direction pour renforcer les différents écosystèmes européens, et la résilience de l’Europe. Cependant, elle ne fournit pas de solutions à court terme.  

En outre, vu le contexte actuel, les tensions géopolitiques autour de l’Ukraine ont des conséquences sur les importations de gaz russe et sur l’économie européenne avec notamment la hausse des prix du gaz. Face au risque de pénurie dû au faible niveau des stocks, les pays européens essaient de diversifier leurs sources d’approvisionnement

Il est urgent d’agir également au niveau luxembourgeois  

À côté des actions et stratégies européennes à implémenter – mais qui prendront du temps -, le Luxembourg doit agir rapidement, notamment afin d’endiguer l’inflation « faite maison » et de soutenir de manière ciblée les entreprises les plus impactées par la hausse de leurs factures de produits énergétiques.[4] 

… en multipliant les efforts dans le développement des énergies renouvelables 

L’effort initié par le Luxembourg en matière de réduction de sa dépendance énergétique doit se poursuivre. Le pays importe 80,7% de sa consommation d’électricité nationale.[5] Avec 11,7% en 2020, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale au Luxembourg reste néanmoins très faible comparée à la grande majorité des pays européens[6]. Le Grand-Duché doit ainsi poursuivre ses efforts en la matière, que ce soit sur le territoire luxembourgeois ou en continuant à collaborer sur des projets transfrontaliers et européens. Diversifier et « durabiliser » le mix énergétique du pays, et notamment le développement des énergies renouvelables, devra rester une priorité.  

… en encourageant la hausse de productivité de nos entreprises 

Afin que les acteurs économiques luxembourgeois soient en mesure d’augmenter leur productivité tout en réussissant à réduire la consommation de nouvelles ressources et leur consommation d’énergie, il est primordial d’encourager et de soutenir nos entreprises à « faire mieux avec moins ». Au moins à court et moyen termes, les transitions écologique et énergétique induisent des coûts supplémentaires pour ces acteurs, qui doivent allier leurs objectifs de développement durable à leurs objectifs de rentabilité. Il est indispensable d’accompagner davantage les entreprises dans ce changement de modèle d’affaire par l’intermédiaire de nouveaux programmes de financement ou par un financement plus important de formations continues (en réponse notamment au manque de main-d’œuvre qualifiée) répondant aux besoins futurs, notamment en matière d’économie circulaire. La dernière édition du Baromètre de l’Economie de la Chambre de Commerce a confirmé ces attentes de la part des chefs d’entreprises au Luxembourg.[7]  

… en repensant le mécanisme d’indexation automatique 

Aujourd’hui les produits énergétiques, tels que le gaz, les combustibles liquides ou encore les carburants et lubrifiants, pèsent pour 5% dans le panier de biens et services de l’IPCN. Entre mars 2020 et décembre 2021, une volatilité de 32,3% a pu être observée en raison des circonstances d’inflation actuelles.  

Il devient alors nécessaire de se demander si, au vu de la transition écologique et énergétique, ainsi que de la forte inflation que nous traversons, le mécanisme, tel qu’en vigueur, répond encore aux caractéristiques de notre société actuelle. Le système d’indexation automatique a contribué jusqu’à aujourd’hui à la cohésion sociale sur le territoire luxembourgeois. Toutefois, en ces temps de forte inflation, une nouvelle tranche d’indexation ne suffira pas aux revenus les plus faibles pour compenser la hausse des prix de l’énergie alors que cela ajoute une pression supplémentaire sur les entreprises. Comme annoncé par la ministre des Finances le 9 février, cette nouvelle tranche pourrait déjà survenir au printemps 2022. 

Via cette indexation automatique et intégrale des salaires, les entreprises subissent une double peine lors du renchérissement des prix de l’énergie, en supportant ces prix en hausse ainsi que la hausse du coût du travail. La neutralisation des produits énergétiques fossiles dans l’IPCN permettrait de répondre à l’objectif de « stabilisation » (en ne soumettant plus les entreprises au « double choc » d’offre et d’indexation) et à une logique environnementale. Il est en effet paradoxal de promouvoir une politique environnementale ambitieuse tout en approuvant et soutenant indirectement des modes de consommation non vertueux.[8] Une telle réforme du panier et de la pondération sous-jacents à l’indice des prix à la consommation prendrait toutefois du temps. Vu l’urgence et compte tenu de l’inflation galopante et persistante, des solutions rapides de modulation temporaire du système luxembourgeois sont requises, avec des compensations parallèles des ménages les plus touchés par la hausse sensible des prix de l’énergie.  

…et en accélérant le passage d’une économie linéaire vers une économie circulaire 

Des actions permettant d’apporter une réponse au problème de la pénurie de matières premières doivent être menées. Le passage d’une économie linéaire vers une économie circulaire, déjà initié au Luxembourg, sera primordial pour atteindre cet objectif. Il existe en effet de multiples pratiques d’économie circulaire permettant d’optimiser l’usage des matières premières, tout en réduisant le besoin et le coût de ces dernières. Pour ne citer que quelques exemples de nouveaux modèles d’affaires : avec la symbiose industrielle, le déchet d’une entreprise devient la matière première d’une autre ; l’approvisionnement durable, l’économie de la fonctionnalité, le recyclage/surcyclage et l’allongement de la durée d’usage permettent d’avoir recours aux mêmes ressources revalorisées dans de multiples cycles de production. Dès que cela est possible, il faut encourager le réemploi des déchets commerciaux ou de matières premières en accompagnant les entreprises via des programmes d’aides et de sensibilisation, afin de disposer de plus de matières premières secondaires c’est-à-dire des déchets qui ont été transformés et/ou combinés, en vue d’obtenir un produit utilisable dans les procédés de fabrication pour remplacer la matière première initiale. 

Une prochaine contribution sur ce blog sera dédiée au sujet de l’économie circulaire. 


[1] Le taux d’inflation annuel est obtenu en comparant le prix total du panier de biens de consommation et des services au cours d’un mois donné à celui relevé pour le même mois de l’année précédente. Le taux d’inflation mensuel est obtenu en comparant le prix du panier d’un mois donné à celui du mois précédent.

[2] La baisse du taux annuel de 4,1% à 3,6% s’explique par un effet de base suite au décalage de la période des soldes d’hiver de 2021, qui ont été répercutées sur les résultats de février 2021. En neutralisant cet effet, le taux annuel s’élève à 4,7%. Certains éléments de la tarification d’énergie ont également été adaptés, jouant à la baisse. D’un autre côté, un rebond des prix des produits pétroliers est constaté, en raison de la hausse du brent et du gaz sur les marchés internationaux ainsi que de l’augmentation de la taxe CO2.

[3] Source : Eurostat

[4] Afin que le Gouvernement luxembourgeois puisse le faire sans enfreindre les règles européennes en matière de concurrence, le ministre de l’Economie et le ministre de l’Energie ont adressé une lettre à la Commission européenne, afin de demander une « aide exceptionnelle » pour ces entreprises en difficulté.

[5] A titre de comparaison, en 2018, le pays importait 85,9% de sa consommation nationale, produisant 14,1% localement. (source : ILR)

[6] En 2020, la part d’énergies renouvelables dans la consommation finale était de 22,1% en moyenne dans l’UE, avec 10,7% à Malte, 11,7% au Luxembourg, 13% en Belgique, 19,1% en France, et 19,3% en Allemagne, contre 60,1% en Suède. (source : Eurostat)

[7] Lien vers le Baromètre de l’Economie du second semestre 2021 sur l’Economie Circulaire

[8] Pour plus d’informations quant au mécanisme d’échelle mobile des salaires ainsi que les recommandations de la Chambre de Commerce y relatifs, veuillez consulter l’A&T n°24 « Un Panier durable pour le Luxembourg ».

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