Budget 2023 : vraiment responsable, réaliste et solidaire ?

Alors que le budget pour l’année 2021 devait être un budget exceptionnel en raison de la crise sanitaire, l’exception semble devenir la règle en ces temps mouvementés, le titre « Un budget de crise en temps de crises » du discours de la Ministre des Finances lors du dépôt du projet de loi concernant le budget de l’État pour l’exercice 2023 (ainsi que du projet de loi de programmation financière pluriannuelle 2022-2026) venant le confirmer, si toutefois un doute subsistait encore. Le discours sur l’Etat de la Nation du Premier Ministre le jour précédent avait donné le ton.

Qualifié de responsable, réaliste et solidaire, le budget 2023 l’est-il vraiment ?

Réaliste ? Si une approche prudente a été privilégiée, l’évolution de la situation budgétaire dépendra fortement de l’évolution de la crise de l’aveu même de la Ministre des Finances. Le Luxembourg n’est en effet pas à l’abri d’une dégradation substantielle des conditions macro-économiques mondiales, les tensions géopolitiques et sur les prix ne semblant pas aller en s’améliorant. Or, malgré des perspectives de croissance positives et des hypothèses paraissant très volontaristes en ce qui concerne l’inflation (2,5% en 2024 sous le scénario servant de base au projet de budget, ce qui permettrait de ne pas prolonger en 2024 un « Preisdeckel » très coûteux en termes de finances publiques), la dette publique devrait atteindre un niveau record de 29,5% en 2026. Le moindre choc (en termes d’inflation énergétique par exemple, tel que le simple maintien d’ici début 2024 des prix du gaz et de l’électricité à son niveau « hors Preisdeckel ») la fera donc passer au-dessus des 30%, plafond certes purement luxembourgeois, mais emblématique, et pourrait à terme menacer le triple A luxembourgeois ce qui serait un véritable Harakiri pour reprendre les mots de la Ministre des Finances.

Si les recettes totales de l’Administration centrale connaissent une hausse de pas moins de 5% par rapport aux prévisions pour l’année 2022 (24,5 milliards d’euros en 2023 contre 23,3 milliards d’euros en 2022), c’est grâce notamment à un marché de l’emploi très dynamique et donc des recettes issues de l’impôt retenu sur les traitements et salaires qui augmentent de 15,7%. Sachant que l’ensemble des impôts directs représentent 48% de l’ensemble des recettes, un choc sur le marché du travail, par exemple un phénomène de grande démission comme celui observé dans de nombreux autres pays, pourrait déstabiliser cet agrégat. Dans le contexte difficile actuel, la croissance de l’emploi est menacée par ailleurs par des facteurs conjoncturels (risque de récession économique) et par des facteurs structurels (manque de main-d’œuvre, législation en matière de télétravail qui joue contre le Luxembourg, manque de logements, problèmes de mobilité, notamment pour les travailleurs frontaliers, …).

En outre, ces recettes ne permettent toutefois pas de compenser l’envolée de près de 11% des dépenses en 2023 (27,3 milliards d’euros en 2023 contre 24,6 milliards en 2022). Le déficit de 2,8 milliards d’euros de l’Administration centrale emporte dans son sillage le solde de l’Administration publique, qui plonge à -1,8 milliard d’euros. Le déficit de cet agrégat risque de se creuser structurellement à cause de la baisse du surplus de l’Administration de la sécurité sociale : les déséquilibres à venir au sein de notre système de pensions doivent trouver des solutions beaucoup plus rapidement que prévu par les autorités politiques.

Pour l’ensemble de ces raisons, plus encore que les autres années les projections de dépenses, recettes et soldes doivent être prises résolument avec des pincettes. En outre, les documents insistent sur l’importance de la « bonne » situation budgétaire de départ, qui permet au Luxembourg de réagir à la crise (coût du « Preisdeckel » notamment). C’est bien la raison pour laquelle il importe de faire preuve de vigilance budgétaire dans les années à venir, en dépit du contexte pour le moins chahuté, via la fixation de priorités notamment.

Solidaire ? Oui et non. Le budget est incontestablement solidaire « ici et maintenant » en termes d’aide aux ménages, en particulier les plus défavorisés d’entre eux qui sont particulièrement exposés à la crise énergétique. En témoignent par exemple la sensible hausse du REVIS et du salaire social minimum prévue dès janvier 2023 (soit +3,3%). Les mesures adoptées à l’occasion du Solidaritéitspak 1.0 et 2.0, souvent ciblées vers les ménages les plus vulnérables comme la prime énergie et le rehaussement de l’allocation de vie chère (mesures prolongées jusqu’en décembre 2023), l’instauration dans le cadre des accords annoncés fin mars 2022 d’un crédit d’impôt énergie permettant de « surcompenser » l’incidence du report à avril 2023 de la tranche d’indexation due en juillet 2022, ou encore la diminution de la TVA et le doublement à partir de novembre 2022 de la subvention gasoil en faveur des ménages.

A ces mesures ciblées s’ajoutent la limitation de la hausse du prix du gaz à 15% et la stabilisation du prix de l’électricité. Cette dernière mesure, très coûteuse en termes de finances publiques, manque de sélectivité sociale et n’incite pas vraiment de larges pans de la population à participer à l’objectif de réduire la consommation d’énergie.

La dimension « solidarité » est bien plus difficile à déceler lorsqu’il s’agit des entreprises, des plus petites d’entre elles en particulier. Les aides prévues dans le cadre des deux Tripartites et du budget risquent de ne pas être à la hauteur des enjeux, surtout si la situation incertaine allait s’aggraver davantage. Le baromètre de l’Economie relatif au 2e semestre 2022, présenté fin octobre par la Chambre de Commerce, fait état d’une chute sensible de la confiance des entreprises et de fortes inquiétudes quant à leur rentabilité, surtout dans les secteurs du commerce et de l’industrie. La pression sur les marges découle entre autres de l’explosion des coûts de l’énergie et de la main-d’œuvre, mais aussi de facteurs comme l’absentéisme élevé, la multiplication de congés de tout genre, etc. Il en résulte notamment une forte baisse de la capacité des entreprises à opérer les investissements nécessaires pour réussir leur transition digitale et environnementale et à devenir plus résiliente pour affronter de nouveaux défis.

Responsable ? La solidarité promue dans le projet de budget semble à courte vue. Elle est en effet nettement plus instable, pour ne pas dire franchement absente, sur un horizon de moyen terme, ce qui va résolument à l’encontre du principe de responsabilité brandi puisqu’un filet de sécurité sociale digne de ce nom doit pouvoir être financé. Dans le cas contraire, il risque de précariser des pans entiers de la population, tout en menaçant les équilibres à plus long terme de nos finances publiques et le AAA.

Or si on en croit le projet de budget 2023, le surplus de la sécurité sociale continuera à s’étioler, pour n’atteindre que 0,7% du PIB en 2026, contre 1,3% de 2020 à 2022, 1,9% du PIB avant la crise sanitaire (en 2019, donc) et même près de 3% du PIB en 2001. Selon le récent bilan technique du régime général de pension établi par l’IGSS, cette évolution résolument défavorable va, en l’absence de réformes, se poursuivre dans les années qui viennent. Il s’agit là d’une potentielle bombe à retardement sociale, dont l’effet sera encore renforcé par le coût du logement croissant, tant en termes d’achats que de locations. Il conviendra d’ailleurs d’analyser en détails les effets directs et indirects, souhaités et collatéraux, des mesures récemment annoncées en matière de logements (impôt foncier, taxe sur la mobilisation des terrains, limitation de l’amortissement, impôt sur les logements non-occupés, etc.), ces mesures pouvant avoir des effets contraires aux objectifs visés dans un marché toujours sous tension.

La responsabilité du Gouvernement envers les entreprises est également de créer un cadre pro-business, permettant une politique de diversification économique dynamique, cohérente et qualitative qui soutiendra la croissance économique tant nécessaire au modèle socio-économique luxembourgeois. Les accents mis en avant dans le budget, en termes d’infrastructures numériques notamment, sont-ils à la hauteur des ambitions ? C’est ce que la Chambre de Commerce ne manquera pas d’analyser à l’aune notamment de ses récents travaux en lien avec la digitalisation du secteur public.

Un des éléments clés contribuant à toute politique proactive et tournée vers le futur consiste toutefois en des investissements élevés. Et même s’ils passent de 4,2% du PIB en 2022 à 4,6% en 2023, une décrue est enregistrée par la suite, pour atteindre 4,2% en 2026. Loin d’être extraordinaire donc vu cette stagnation. Et encore moins si cette évolution est comparée à celle des dépenses de rémunération, qui passeraient de 10,2% du PIB en 2022 à 10,8% en 2026, reflétant la difficulté des pouvoirs publics de simplifier davantage les procédures administratives en faveur des citoyens et des entreprises et de digitaliser plus systématiquement et rapidement les services publics. Une simplification accrue et une digitalisation accélérée permettraient à l’Etat de réduire quelque peu les besoins de recrutement importants d’agents publics qui sont affichés d’année en année dans le document budgétaire.

Soutenir les entreprises dans ces périodes de crise qui se suivent et s’accumulent est également une responsabilité qui ne peut être éludée. Or les mesures contenues dans le budget ne semblent pas apporter davantage de prévisibilité et de certitudes aux entreprises que ne le fait l’accord tripartite signé le 28 septembre. Une marge de sécurité budgétaire aurait toutefois été la bienvenue pour pallier toute dégradation future des conditions socio-économiques qui demanderait un soutien accru. En effet, après plusieurs crises, avec un ralentissement économique qui s’en suit, la marge de manœuvre budgétaire s’effrite rapidement, alors que l’accumulation de réserves pendant les années de forte croissance économique n’a pas été assez conséquente.

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