Logement : pilotage à vue vs. bulle spéculative

Un nouveau sondage de TNS-Ilres publié aujourd’hui indique que la politique en matière de logement est jugée inefficace par 75% des participants à l’enquête. Depuis des décennies, l’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du logement est un sujet d’actualité, dont les tenants et aboutissants sont très vastes et complexes.

Le Luxembourg fait face à un déséquilibre manifeste sur son marché du logement, tant en ce qui concerne le parc locatif que le parc subventionné et l’accès à la propriété. Depuis des années, le pays connaît une demande toujours croissante de logements qui s’explique par la croissance démographique exceptionnelle due principalement à l’immigration, mais également par un niveau historiquement bas des taux hypothécaires qui est propice à l’investissement immobilier et par la préférence des investissements immobiliers par rapport à d’autres classes d’actifs en cette période de crise et d’instabilité socio-économique. Les évolutions sociodémographiques et sociologiques telles que la réduction de la taille des ménages, l’augmentation de la surface habitable moyenne et l’atomisation des ménages sont d’autres facteurs explicatifs. Si les facteurs socioéconomiques et structurels sont difficilement influençables à court terme, il n’en est pas moins qu’ils risquent encore de prendre de l’ampleur à l’avenir, d’où la nécessité d’insuffler un nouvel élan à la politique en matière de logement.

Une analyse récente du CEPS/INSTEAD indique que la « surchauffe » des prix de l’immobilier luxembourgeois de 1974 à nos jours est davantage due à l’offre limitée de logements sur le territoire qu’à une quelconque bulle spéculative.

Le thème de l’existence d’une bulle spéculative mérite d’être creusé. En effet, si aujourd’hui, les prix sont tirés vers le haut suite à un excédent de la demande par rapport à l’offre, il n’est pas dit que, demain, cette tendance du marché restera de mise. En effet, contexte économique morose et croissance démographique continue ne vont pas main dans la main ad aeternam. Pour l’instant, c’est le cas, puisque la situation économique et sociale dans plusieurs Etats membres du sud de l’Europe est autrement plus dramatique que chez nous, ce qui génère des flux migratoires de ces pays vers le Luxembourg.

Par contre, que se passera-t-il en cas d’arrêt de l’immigration ou en cas de réallocation significative des moyens financiers consentis par les investisseurs immobiliers nationaux et surtout internationaux ? En effet, les allocations de capitaux ne se font qu’aussi longtemps que les investisseurs maintiennent leur confiance dans l’évolution économique et démographique anticipée, et donc dans les flux migratoires entrants attendus, du Luxembourg. Si d’autres régions offrent de meilleures conditions de rémunération et de rentabilité en retour des capitaux investis, une réallocation des capitaux peut conduire à un renversement de tendance et à une forte chute des prix de l’immobilier. Les conséquences pour de nombreux propriétaires et investisseurs et pour les secteurs financier, de l’immobilier et de la construction en seraient désastreuses. Il ne faut donc pas sous-estimer les risques de l’éclatement d’une bulle spéculative dans ce domaine, même si pour l’instant, l’évolution va toujours dans l’autre direction, alors que les loyers de l’immobilier de bureaux et du non-résidentiel se maintiennent et que la demande de la part des institutions européennes reste soutenue. Sous condition de sauvegarder un environnement légal et fiscal attractif, le Luxembourg pourra attirer sur son sol davantage d’investisseurs et de nouveaux résidents, ce qui maintiendra la pression sur la demande de logements. Mais dans ce cas, il faut que l’offre de logements suive le rythme soutenu de la demande en veillant à mettre sur le marché suffisamment de terrains constructibles.

Même si le Gouvernement est conscient de l’importance à accorder au problème structurel lié au logement, les mesures prises agissent le plus souvent sur le soutien de la demande, sans aucune garantie que l’offre de logements suive au même rythme, ce qui a comme conséquence une nouvelle hausse des prix du logement. L’Etat ne peut pas agir seul : les communes doivent également prendre leur responsabilité. De même, les promoteurs privés doivent être impliqués davantage par les autorités publiques et locales, notamment dans le domaine du logement social, alors que, par exemple, le parc locatif social luxembourgeois affiche un des taux les plus bas d’Europe, avec à peine 3% du nombre total de logements sur le marché, contre 30% aux Pays-Bas et 20% en France.

Davantage de simplification administrative permettrait également de faciliter l’offre de logements, notamment en matière de délivrance de permis de construire, les délais luxembourgeois comptant parmi les plus longs des pays développés, ou de durée d’adoption des Plan d’Aménagement Particuliers (PAP) par les communes (jusqu’à 23 mois en cas de réclamations à l’heure actuelle).

A mon sens, les mesures annoncées par le Premier Ministre lors de son discours sur l’Etat de la Nation sont louables (suppression de la bonification d’intérêt, impôt plus élevé sur les plus-values réalisées sur les terrains, gestion locative sociale, taxe sur les logements inoccupés, prêt sans intérêts pour financer l’assainissement énergétique de logements). Toutefois ces belles intentions resteront-elles lettre morte ou seront-elles suivies de mesures assez fortes pour renverser durablement la tendance ? Dans le passé, de telles mesures ont souvent été trop lentement appliquées dans la réalité, voire pas du tout ! Elles doivent faire partie d’une vision globale et cohérente en matière de politique de logement, qui mette l’accent sur le soutien de l’offre et sur la mise sur le marché rapide de terrains à construire.

Le projet de loi d’aménagement du territoire, déposé en mars 2010 à la Chambre des Députés, est toujours, trois ans plus tard, à l’ordre du jour de cette dernière. Or, sans cette loi, le Plan directeur sectoriel Logement (PSL), ainsi que les trois autres Plans directeurs sectoriels « transports », « paysages » et « zones d’activités économiques », ne peuvent être mis à jour. Le PSL est déjà dépassé et ne peut fédérer les communes derrière une vision globale du logement. Celles-ci doivent encore définir des zones d’urbanisation prioritaires et des réserves de terrains à acquérir par les autorités publiques pour la création de logements abordables permettant d’accommoder plus de 44.000 habitants. On le voit, le chemin est long entre les déclarations officielles et la réalité sur le terrain ! Les instruments juridiques permettant une maîtrise territoriale suffisante sont trop complexes ou incohérents.

La politique du logement ne peut être dissociée d’autres politiques sectorielles : elle doit aller de pair avec une politique efficace en matière de développement durable, d’aménagement du territoire, d’organisation spatiale et de gestion du foncier, visant à éviter la spéculation foncière et toute raréfaction artificielle ou volontariste de terrains. Il faut définitivement simplifier les procédures d’autorisation en matière d’urbanisme et toutes les autres procédures administratives liées au développement d’une politique de logement efficiente et de long terme, répondant aux besoins de la population, des familles, des entreprises et des investisseurs.

5 thoughts on “Logement : pilotage à vue vs. bulle spéculative

  1. RARETE ARTIFICIELLE DES TERRAIS URBANISABLES?

    Une des raisons de l’urbanisme inefficase au Luxembourg, en plus de la volonté de certains politiciens luxembourgeois de ne pas trop “franciser” ou “belgiser” leur commune, est la très faible taille des communes. Au Luxembourg il y a en gros une structure communale à la française. Il ne manque que l’intercommunalité à la française, très couteux pour les contribuables de l’Hexagone.

    Il est difficile d’avoir des services d’urbanisme compétents si la commune ne possède que 1200-3000 habitants… Dans les pays du nord de l’Europe (surtout au Danemark et en Suède) les communes sont nettement plus grandes, et par par conséquent possède des compétences techniques supérieures. Par exemple au Danemark, qui a une densité de population presque pareille au Luxembourg, on trouve le même nombre des communes qu’au Grand-Duché pour une population dix fois supérieure…

    Une deuxième raison est sans doute que dans certaines communes de ce pays, les politiciens au pouvoir sont (trop) proches des certaines familles (“paysannes”) qui possèdent des terrains. Dans certaines communes il peut avoir une relation malsaine au niveau de l’urbanisation des terrains et les procédures de l’urbanisation peuvent clairement de la transparence. Des fois on a l’impression que les mêmes familles (au sens large) ou “clans”, qui possèdent des terrains décident de leur urbanisation.

    N’importe qui qui prend le vélo dans l’agglomération luxembourgeoise peut s’apercevoir que, dans un rayon de 12 km du centre de la Ville de Luxembourg, les terrains potentiellement urbanisables ne manquent pas (contrairement à des villes comme Geneve, Honk Kong, Singapour, Monaco ou Paris….). Certes les communes de ce pays n’ont pas l’intêret de tout betoniser, mais il y a énormément des trous à combler… Cela rimerait aussi avec les principes du développement durable: une densité d’habitation supérieure permettrait de mieux promouvoir les transports en commun efficases.

    Si on connaît un peu les principes de l’aménagement du territoiret et l’urbanisme, on a vite l’impression que dans certains cercles au pouvoir dans ce pays il y une volonté de créer un “rarété artificielle” des terrains à contruire.

    Certaines familles tirent des profits excessifs de cette rarété articielle alors que d’autres s’endettent à des montants astronomiques pour des petits lopins de terre. L’intêret public ne prime pas suffisamment (au moins d’un point de vue d’un nordique habitué à la transparence…)

    Cette rareté artificielle des terrains à construire et des prix de terrains excessifs qui en suivent risquent de nuire gravement à l’économie nationale et à la competitivité du pays dans le nouveau contexte économique mondiale qui dure depuis 5 ans : d’une part les prix des logements excessifs rendent difficiles la modération salariale dont le Luxembourg aurait fortement besoin. D’autre part cela risque encore accélerer la bulle immobilière au pays et produire dans le pire des cas une nouvelle crise bancaire, cette fois-ci “endogène”, au Luxembourg. Il n’est inutile de rappeller que la très grande crise bancaire des pays nordiques au début des années 90 était surtout le résultat l’éclatement de la bulle immobilière. On trouve également des exemples similaires plus récents en Irlande, en Islande, en Espagne, etc. Certes le Luxembourg est un “fameux” pays de triple A.

    Mais dans le monde d’après 2008 rien n’est plus comme avant. Il suffit d’observer un autre pays Triple A à quelques dizaines de km des frontières du Grand Duché: au Pays-Bas les prix d’immobilier ont baissé presque 15% en 18 mois…

    Le pire ne se produit pas toujours, mais le “reality-check” au Luxembourg risque d’être terrible dans ce petit pays dans les 18-36 mois à venir, si dans le domaine la politique du logement et de l’urbanisme il n’y a pas de changements de cap majeurs dans les meilleurs délais.

  2. Bonjour M. Thelen,

    Je souscris totalement à votre vision du marché immobilier luxembourgeois. J’ai eu la chance de pouvoir acquérir une maison en 2000. Si je devais acheter ma maison aujourd’hui, je ne pourrais pas me le permettre. Or c’est toujours la même maison! Je constate qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes et de ménages aux revenus modestes ne peuvent plus faire l’acquisition d’un bien immobilier au Luxembourg, et sont même parfois amenés à s’expatrier. Ce qui crée par ailleurs un effet de contagion avec les régions frontalières. Il y a vraiment un déséquilibre entre l’offre et la demande. Et le prix excessif des terrains en est certainement une des premières causes.

    Patrick Biver

  3. Le constat est le même que ce soit à Luxembourg ou ailleurs, le secteur de l’immobilier connait une baisse d’intérêt de partout et que ce soit de la part des investisseurs ou des vendeurs…seuls les destinations outremer restent encore intéressants, reste à savoir dans quel type de bien investir..

  4. Je ne dirais pas que le secteurde l’immobilier connait une baisse d’intérêt…
    Du côté français de la frontière, c’est on observe la situation inverse à ce qui est décrit dans cet article : beaucoup de bien sur le marché et peu d’acheteurs (certainement en partie dû à la réticence des banques pour octroyer des crédits). Résultat : les prix baissent depuis quelques années, malgré des taux plus qu’attractifs.
    En tous cas, ceux qui ne peuvent plus se payer une maison au Grand Duché peuvent toujours traverser la frontière… Pour le prix d’un petit appartement au Kirchberg, on peut se payer une villa de 200m2 avec un vrai terrain !
    Quelques exemples sur alafrontiere.lu

  5. Pour en revenir à l’allocation de capitaux, à la vue de la dynamique du secteur immobilier luxembourgeois et les faibles évolutions des prix des voisins européens qui pour exemple est de 2% en France pour les maisons au dernier trimestre 2016, nous pouvons nous attendre à un afflux toujours plus importants des capitaux. La question est, les luxembourgeois sont ils prêts à investir dans l’immobilier sans passer obligatoirement par l’achat d’un bien immobilier. En effet avec l’émergence de nouveaux acteurs, comme pour le crowdfunding immobilier, on peut s’attendre à une modification du paysage de l’investissement immobilier au Luxembourg : https://blog.beeinvested.ch/les-promoteurs-et-epargnants-seduits-par-le-crowdfunding-immobilier/

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