Pour un budget de la résilience et de la relance

La COVID affecte durement l’économie mondiale et l’environnement socio-économique reste fragile, lourdement impacté par la crise et marqué par l’incertitude dans plusieurs dossiers (Brexit, élections US, relations avec la Chine, …).

Selon les projections macroéconomiques de la Commission européenne de juillet 2020, le PIB aurait diminué de quelque 8,7% en 2020 au sein de la zone euro et ce n’est peut-être pas là « le dernier mot », comme le suggèrent les re-confinements dans diverses régions européennes.

L’économie luxembourgeoise n’est pas à l’abri de ces évolutions. Le projet de budget 2021 déposé le 14 octobre 2020, table sur un déclin du PIB en volume de quelque 6% en 2020. La croissance économique bénéficierait certes d’un rebond mécanique en 2021, avec un PIB réel s’accroissant de 7% par rapport à 2020, mais de nombreux risques entourent une telle prévision optimiste à l’heure actuelle. Au total, sur les deux années, le PIB progresserait à peine, alors qu’une croissance de plus de 5% sur deux années était attendue avant l’apparition de la COVID.

La faiblesse de la demande ainsi que les mesures d’urgence adoptées par le Gouvernement se reflètent dans l’évolution de nos finances publiques, avec pour 2020 un déficit de l’ensemble des Administrations publiques (soit l’Administration centrale, la sécurité sociale et les pouvoirs locaux) censé culminer à 7,4% du PIB – soit bien plus qu’au cœur de la Grande Récession (pour rappel, l’impasse budgétaire s’était élevée à seulement 0,2% du PIB en 2009). A la faveur de la reprise mécanique escomptée pour 2021, le déficit des Administrations publiques reviendrait cependant à 2,7% en 2021. Un chiffre en net retrait, mais qui demeurerait élevé à l’aune de l’expérience historique luxembourgeoise (voir le graphique ci-dessous).

Graphique : Evolution du solde des Administrations publiques de 2000 à 2024

Source : STATEC, prévisions de mai 2020 de la Commission européenne, projet de budget 2021.

Une situation budgétaire initialement saine : un solide socle dans le contexte actuel

Les déficits enregistrés en 2020 et en 2021 ne peuvent bien entendu devenir les nouveaux « benchmarks » de notre future politique budgétaire, mais ils s’expliquent et même se justifient dans un contexte dominé par la « crise COVID », qui exige une politique anticyclique performante. En raison de son intensité et de sa soudaineté, cette crise aurait pu anéantir des pans entiers de notre économie en l’absence d’actions rapides et résolues de nos autorités. Je songe notamment à l’important plan de stabilisation annoncé dès le 25 mars (infrastructures liées au virus, aides remboursables ou non aux entreprises et reports de charges, chômage partiel, congé pour raisons familiales, etc.) et à Neistart Lëtzebuerg, présenté le 20 mai, dont les mesures ont eu le mérite d’atténuer les effets de la crise (les faillites, la perte de qualifications de la main-d’œuvre et son enlisement dans le chômage, la dislocation des chaînes de valeur, etc.) et qui seront encore suivies d’autres mesures ciblées pour soutenir les secteurs les plus affectés, ce dont il faut se féliciter.

Au coût de ces dispositions (près de 9 milliards d’euros pour le seul plan de stabilisation du 25 mars, selon le Ministre des Finances et en ne tenant pas compte des importantes sous-utilisations de certaines mesures) s’est ajouté le coût budgétaire des « stabilisateurs automatiques », à savoir principalement les indemnités de chômage et la diminution « automatique » des recettes. Une charge additionnelle pouvant être estimée à 3 points de PIB environ en 2020.

A condition toujours qu’ils ne servent pas de « modèles » à l’avenir et qu’ils soient contenus dès 2022, ce qui est d’ailleurs l’objectif visé dans le projet de budget pluriannuel (qu’il restera à concrétiser…), les déficits enregistrés en 2020 et en 2021 ne constituent pas une menace directe pour la notation « triple A » du Luxembourg. Mais pour une raison qu’il convient de rappeler sans relâche : le Luxembourg était, comparativement à la plupart des autres pays de l’Union européenne et par rapport à deux de ses trois voisins, dans une situation budgétaire relativement favorable avant la soudaine apparition de la COVID. En 2019, le Luxembourg affichait en effet un surplus des Administrations publiques équivalant à 2,4% du PIB, alors que la zone euro dans son ensemble, et surtout la Belgique et la France, affichaient des déficits substantiels.

C’est cette situation raisonnablement saine – même si elle n’est pas exempte de vulnérabilités, en ce qui concerne les pensions notamment – qui nous a permis de réagir rapidement à la crise, sans pour autant hypothéquer exagérément l’avenir de nos finances publiques. En témoignent notamment les ratios d’endettement de 110 et 112% du PIB attendus pour 2021 en Belgique et en France, respectivement, contre 29,4% au Luxembourg selon le projet de budget. Nous devrons garder constamment à l’esprit cet avantage décisif qu’a constitué une situation budgétaire initialement saine.

On peut d’ailleurs regretter dans cette perspective que le projet de budget soit avare de considérations en ce qui concerne la stratégie de « sortie à moyen terme des déficits » de l’Administration centrale. L’impasse budgétaire de cette entité serait toujours considérable en 2024 (avec un déficit de 1,8% du PIB), en dépit d’une croissance moyenne attendue de près de 3,5% à l’horizon 2022-2024.

D’autres « chaînons manquants » du projet de budget sont l’absence de précisions quant à l’impact (budgétaire, micro et macro-économique) des diverses mesures fiscales annoncées, ou des dépenses réellement consenties dans le cadre des plans de stabilisation et de relance – seuls les chiffrages initiaux sont mentionnés, en dépit d’une sous-utilisation (pour l’heure flagrante) de certaines dispositions. Il aurait par ailleurs été souhaitable d’intégrer au projet une marge de manœuvre financière permettant de couvrir anticipativement de nouvelles mesures, qui risquent de s’imposer rapidement dans le contexte économique et sanitaire actuel et ceci à plus long terme.

Maintenir les investissements publics productifs à un niveau élevé dans une démarche anticipative

Le Luxembourg se caractérise, depuis de nombreuses années, par des investissements publics relativement élevés, de l’ordre de 4% du PIB, ce qui a permis de disposer d’infrastructures modernes et performantes. Le projet de budget annonce, comme l’avait d’ailleurs recommandé la Chambre de Commerce dans son plan de relance présenté le 15 juillet 2020, des efforts conséquents en la matière. En 2020, les investissements publics représenteraient quelque 5,9% du PIB prévu (avec, il est vrai, divers effets exceptionnels liés à la COVID et à l’avion militaire). Les années suivantes, ils oscilleraient autour de 5% du PIB, soit un niveau durablement plus élevé qu’avant la crise.

De telles intentions sont à saluer. Un effort d’investissement public de 4% du PIB serait fort approprié pour un pays à croissance modérée, de 1 à 1,5% l’an. Mais pas dans un pays appelé à enregistrer une croissance économique de l’ordre de 3% l’an, voire même davantage (afin d’assurer le financement de nos modèles sociaux). Un tel pays se caractérise en effet par des mutations nettement plus rapides qu’ailleurs (avec notamment une forte augmentation de l’emploi frontalier et résident), ce qui se traduit par d’importantes pressions s’exerçant sur les infrastructures de transport, de logement, de santé, d’éducation, etc. Un objectif de 5% semble être un minimum dans une situation de croissance dynamique après-crise, qui requiert un important effort d’anticipation de la part des autorités publiques nationales et locales dès à présent.

Par ailleurs, des investissements publics accrus constituent une importante contribution à l’effort de relance (effet dit « multiplicateur » d’entraînement économique), mais également à long terme. Le FMI, notamment, a souvent mis en exergue l’apport des investissements publics en termes de potentiel de croissance économique sur un tel horizon de temps.

L’effort d’investissement prévu est à saluer, de même que les priorités choisies, à savoir la santé et l’équipement hospitalier, la recherche et développement et l’innovation, la transition verte et énergétique, les transports.

En matière de santé, sujet primordial pour des raisons évidentes, les autorités devront poser systématiquement les jalons d’un véritable écosystème, intégrant notamment les acteurs traditionnels de la santé, l’enseignement médical, la recherche ou encore les acteurs privés en pointe dans ce domaine.

Il ne faut pas oublier le logement, alors que la progression des prix immobiliers ne s’est pas ralentie pendant la crise COVID, bien au contraire. Ceci souligne le déséquilibre structurel entre la demande, exaltée suite aux mesures de soutien publiques, et l’offre, ralentie par la lenteur et la complexité des procédures administratives, surtout environnementales. Des problèmes croissants en termes de cohésion sociale et d’attractivité pour les travailleurs étrangers risquent de surgir. Des solutions existent et ont été à maintes reprises rappelées par la Chambre de Commerce et les acteurs du terrain. Il faut les mettre en œuvre rapidement !

Renforcer l’attractivité et la compétitivité du pays pour ramener la croissance et redresser les finances publiques

La pandémie ne doit pas nous faire oublier la nécessité de renforcer l’attractivité et la compétitivité du Luxembourg. Le projet de budget souffle un peu le chaud et le froid dans ce domaine. Il consacre l’abandon du régime des stock-options et warrants. Le Gouvernement renonce par ailleurs, dans l’immédiat, à une réforme fiscale d’ensemble, qui aurait pu permettre notamment d’annoncer une feuille de route assurant de manière progressive une convergence vers la moyenne (ou la médiane) européenne du taux d’imposition nominal frappant les sociétés luxembourgeoises, actuellement élevé en comparaison internationale. Il conviendrait en effet d’afficher dans le contexte incertain et volatil actuel une « feuille de route » prévoyant dès 2022 (et par exemple sur trois ans) une telle convergence, tout en rassurant en parallèle les entreprises quant à l’évolution d’ici la fin de la législature des autres prélèvements à leur charge et des cotisations sociales

Allant de pair avec un « package pro-business » global[1], une telle stratégie fiscale permettrait de conforter les entreprises durant la phase de relance et de lever toute incertitude susceptible d’hypothéquer leurs investissements. Ce cadre porteur offrirait également un soutien à la capacité de résilience et d’innovation des entreprises et à l’attractivité fiscale du Grand-Duché.

Il importe enfin de poser dès que possible les jalons d’une croissance plus qualitative, via notamment la relance de la stratégie « Troisième révolution industrielle » (TIR). Les premiers projets TIR doivent continuer à se concrétiser et en parallèle, les objectifs de la TIR doivent être réévalués, voire même réorientés en fonction des enseignements de la crise sanitaire. Le mot d’ordre étant toujours l’augmentation de la productivité et de l’efficience à travers les nouvelles technologies et l’innovation. Il s’agit en clair de faire mieux avec moins de ressources, face aux défis socio-démographiques, énergétiques et climatiques.

Associé à une recherche d’efficience « là où c’est possible » dans le domaine public également, un tel cadre d’ensemble permettrait d’arrimer solidement la relance, de stimuler l’activité économique et par voie de conséquence, les recettes budgétaires. Le tout permettrait de résoudre la quadrature du cercle de l’assainissement budgétaire, de la relance et d’un retour à une croissance qualitative élevée, indispensable pour le modèle socio-économique et sociétal luxembourgeois.

Le projet de budget n’est certes pas dépourvu d’impulsions nouvelles. Ainsi, il prévoit une taxe d’abonnement allégée pour les fonds d’investissement ayant des actifs « verts » et un régime d’impatriation plus performant, qui serait en outre accessible aux firmes de moins de 20 salariés. La participation des salariés au résultat de leur entreprise serait par ailleurs fiscalement avantagée. Enfin, le Gouvernement affiche l’importance de la transition numérique. Le Fonds pour l’emploi va par ailleurs être renforcé, afin de favoriser l’emploi des seniors, l’apprentissage et un effort sur le plan des stages professionnels. De tels efforts sont louables, mais ils ne constituent qu’une partie du cadre pro-business requis, compte tenu de l’acuité des problèmes auxquels les entreprises sont actuellement confrontées.

En résumé, le projet de budget déposé le 14 octobre a l’ambition de renforcer la résilience de l’économie luxembourgeoise, même si cet édifice prometteur (sous réserve d’inventaire…) devra être complété à court terme (aides adaptées en fonction de l’évolution du contexte, modernisation de la loi sur les faillites, etc.) et lorsque la crise aura été surmontée (orientation à moyen terme des finances publiques, maintien des investissements à un niveau élevé, baisse graduelle de l’imposition des sociétés …). Le projet de budget devra en outre être complété par une nouvelle stratégie de développement, dans le sillage de la TIR, visant entre autres à relancer durablement l’activité économique, commerciale et industrielle au Luxembourg. La Chambre de Commerce demeure une « force de proposition » dans ce contexte, comme elle l’a fait de manière constructive tout au long de cette crise, en étroite coopération avec les autorités publiques.


[1] Voir à ce propos le plan de relance de la Chambre de Commerce, https://www.cc.lu/planderelance/.

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